Confession d'un enfant du siècle

La troisième édition des Assises Internationales du Roman sera précédée dimanche d'un entretien avec l'immense Claude Lanzmann autour de son livre, Le Lièvre de Patagonie, dans lequel il relate sa traversée du siècle. Yann Nicol


Au fil de cette troisième édition des Assises Internationales du Roman, les nombreuses tables rondes consacrées au roman contemporain aborderont des thèmes aussi divers que le rapport à l'histoire, l'écriture de la violence, la prise en compte de la mémoire, la question des générations ou les enjeux de l'enquête littéraire. Autant de questions qui sont cristallisées par le seul livre de Claude Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie, dans lequel l'écrivain-cinéaste revisite son propre destin tout en mettant en perspective les événements majeurs de la deuxième partie du XXe siècle. La Seconde Guerre mondiale, qui survient alors qu'il est un tout jeune homme, marquera à jamais son parcours. D'abord parce c'est là que débute une vie de lutte (il entre en résistance à 18 ans dans les Jeunesses Communistes) qui se traduira notamment par des engagements pendant la guerre d'Algérie, le conflit israélo-palestinien ou la crise de Budapest en 1956. Ensuite, parce que cette guerre sera le théâtre de la barbarie la plus extrême : l'extermination des Juifs d'Europe. Une barbarie qui est au cœur d'un film, Shoah, auquel il a consacré plus de dix ans de sa vie, et dont Lanzmann nous révèle la genèse dans Le Lièvre de Patagonie. L'enquête menée auprès des bourreaux et des victimes, la réalisation du film, les difficultés financières et juridiques, les réactions qu'il a suscitées, mais aussi le choix du titre : «Je me suis battu pour imposer Shoah sans savoir que je procédais ainsi à un acte radical de nomination, puisque presque aussitôt le titre du film est devenu, en de nombreuses langues et pas seulement en hébreu, le nom même de l'événement dans son absolue singularité».De l'intime à l'universel
Mais ce n'est pas seulement le cinéaste et l'homme engagé que l'on retrouve au fil de ce livre multiple. C'est aussi un fils, un frère, un amant, un ami, dont l'appétit de vivre n'est pas altéré par l'omniprésence de la mort. «La guillotine – plus généralement la peine capitale et les différents modes d'administration de la mort – aura été la grande affaire de ma vie», écrit-il au tout début de ses mémoires. À ces millions de morts «anonymes», il faut ajouter celle des proches, dont celle de sa sœur Evelyne, qui se suicide à 36 ans après une vie douloureuse et chaotique, et à laquelle Claude Lanzmann rend hommage dans des pages absolument poignantes. On retrouve là la sensibilité à fleur de peau d'un homme de combat qui est aussi un grand romantique. Son évocation de la relation amoureuse qu'il noue avec Simone de Beauvoir, qui en est le plus bel exemple, permettra aussi au lecteur de plonger dans la vie intellectuelle et artistique d'une époque marquée par le couple mythique, constitué du «Castor» et de Jean-Paul Sartre, et par la formidable aventure de la revue Les Temps Modernes. Entré au comité de rédaction dès le début des années cinquante, Lanzmann en devient le directeur à la mort de Simone de Beauvoir, en 1986. Avec au passage, quelques faits d'armes notoires, dont le numéro spécial consacré au conflit israélo-palestinien à la veille de la Guerre des six-jours… Tout à la fois récit des origines, roman familial, traversée de la vie intellectuelle du XXe siècle, témoignage historique de premier plan, mais aussi carnet de voyages, autobiographie amoureuse, immersion dans son œuvre, plongée dans le monde de la presse, chronique d'une génération ou récit d'une aventure spirituelle, ce livre aux multiples facettes, d'une maîtrise stylistique parfaite, est un monument qu'il faut lire et transmettre comme un trésor inestimable.


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