A(rt)borigènes contemporains

Expo / Toujours en attente de ses propres murs, le Musée des Confluences organise une belle exposition consacrée à l'art contemporain aborigène dans plusieurs lieux d'art lyonnais. Jean-Emmanuel Denave


On apprend toujours un tas de choses à l'occasion des expositions du Musée des Confluences. Et, pour commencer, que le mot «art» n'a aucun équivalent parmi les 250 langues aborigènes répertoriées aujourd'hui. Ensuite, que le peuple aborigène (du latin ab origine : ceux qui étaient là depuis les origines) n'existe pas en soi et regroupe en réalité 1500 peuples présents en Australie depuis 40 000 ans ! Mais ce qui leur est commun, depuis la colonisation anglaise fin XVIIIe siècle, est d'avoir été largement spoliés, exterminés ou assimilés de force. Fait remarquable : le 13 février 2008, le Premier ministre travailliste Kevin Rudd a prononcé des excuses nationales envers les peuples aborigènes. Aujourd'hui ils représentent 2, 3% de la population australienne (455 000 individus) et habitent majoritairement en ville, souvent dans les quartiers les plus défavorisés... Œuvres polysémiques
À l'IUFM, on découvre plusieurs grandes toiles qu'on aurait tendance, rapidement, à qualifier d'abstraites : lignes de pointillées blancs enchevêtrées sur un fond noir de Dorothy Napangardi (née en 1956) ; formes ovoïdes violettes ou ocres entrelacées de lignes aux mêmes pointillés blancs de Freddie Timms (né en 1946) qui font penser à certaines toiles de Miro... Deux œuvres superbes que l'on peut apprécier pour elles-mêmes, mais dont les cartels indiquent des significations insoupçonnées, une profondeur de sens qui échappe à notre premier regard d'individu occidental accoutumé à l'autonomie des propriétés plastiques de l'art abstrait. Car si le terme d'art n'existe pas dans les langues aborigènes, ce n'est pas un hasard, mais bien parce que les «expressions artistiques» de ces peuples drainent encore aujourd'hui nombre de symboles, rites, récits, efforts de transmissions de cultures ancestrales. L'art n'est pas autonome mais enveloppe avec lui des fonctions sociales, mythologiques, spirituelles... Et nos toiles «abstraites» se révèlent pour la première la représentation de traces de mouvements d'êtres mythiques vues du ciel ; pour la seconde, le trajet de deux fleuves autour de collines. Ces toiles-cartes, ces toiles-symboles à la fois renouent avec et renouvellent les peintures ancestrales sur pierres, sur sable ou à même le corps... À la Fondation Bullukian, trois artistes présentent plusieurs gravures d'aspect beaucoup plus figuratif, et toujours superbes. Originaires d'îles du nord de l'Australie, les artistes mêlent les influences les plus diverses pour nous donner à voir des «vagues boxeuses», les dieux des vents et des saisons, le coït des tortues...« Créations contemporaines aborigènes »
Aux Echanges Culturels Bulukian, jusqu'au 4 juin
À la Galerie IUFM Confluence(s), au Centre Hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc et à l'Hôpital privé Natecia, jusqu'au 27 juin.


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Duo à l'air libre