Blur sur la ville

C'est LE concert événement de l'année : la reformation de Blur en exclusivité française aux Nuits de Fourvière. Récit du parcours passionnant d'un groupe anglais majeur… Christophe Chabert


Les concerts estivaux qui marquent la reformation de Blur, qui paraissait improbable il y a quelques mois encore, seront-ils un baroud d'honneur ou l'acte 1 d'une nouvelle page de son histoire ? Difficile à dire… Dans le même temps, Graham Coxon sort un nouvel album solo, Damon Albarn annonce des projets à la pelle et la seule actualité discographique en vue est un nouveau best of, malicieusement intitulé Midlife : A beginner's guide to Blur. Le groupe serait-il donc à mi-vie, après vingt ans d'existence ? Ou ce titre à tiroir fait-il référence à une probable midlife crisis de ses membres, aujourd'hui quadragénaires, entraînant brouilles en série puis désir de s'acheter une Porsche avec les royalties de cette reformation ?

La vraie vie des Anglais

Après tout, Blur a déjà connu plusieurs vies. Avant de s'appeler Blur, le quatuor s'était baptisé Seymour et c'est, selon la légende, leur manager qui les poussa à adopter un patronyme plus vendeur. De même, l'Angleterre pop attendait avec impatience en 1991 la sortie de leur premier album Leisure, annoncée par des tubes fulgurants ; déception générale cependant face à ce disque brouillon, brassant sans originalité les tendances musicales du moment (le son de Manchester et le shoegazing) dans des murs de guitares plongeant mélodies et textes dans le brouillard. Reprenant les choses à zéro, Coxon, Albarn, James et Rowntree ont réinventé deux ans plus tard le style du groupe : Modern life is rubbish peut être considéré comme le vrai acte fondateur de Blur, puisqu'il redonne un coup de fouet à la brit-pop. Les guitares sont plus légères et bondissantes, les mélodies ne se cachent plus mais exposent au grand jour leur capacité de séduction… Un an plus tard, avec la sortie de Parklife, Blur fait son entrée dans la cour des grands : dès l'introduction de Girls and boys, le groupe n'y va pas par quatre chemins et cherche à faire danser la terre entière. Parklife, London Loves ou Magic America participent de cette veine outrageusement accrocheuse qui a fait la réputation de l'album ; mais le réduire à ces tubes évidents n'est pas en offrir un résumé fidèle. Car Parklife se propose de retracer la vie ordinaire des Anglais, leurs désirs un peu cheap et leurs fantasmes parfois ridicules. Musicalement, le disque va piocher du côté du music-hall, des fêtes foraines, des chansons de pubs ou des hymnes de stades. Cynique et volontiers provocateur, le groupe sait aussi jouer la corde sensible : celle des matins blafards après une soirée de biture mais aussi des déclarations d'amour romantiques. Ce coup de maître sera suivi par un autre album important, The Great Escape, qui reprend les bases conceptuelles de Parklife mais les applique à la upper-class qui n'aime rien tant qu'aller se faire chier à la campagne le week-end et exprime, dans un lamento désespéré, son besoin d'être diverti. Sorte de Chatiliez de la pop anglaise, Albarn orchestre un cruel jeu de massacre contre ses congénères, mais Blur garde cependant sa fraîcheur musicale et s'autorise même de discrets apartés hors de son pré carré.

Spleen et idéal

De fait, après quatre albums, beaucoup de médiatisation, une querelle au long cours avec les frères Gallagher d'Oasis pour régner au sommet des charts, Blur semble être condamné à se renouveler sous peine de redites fatales — Oasis, choisissant cette voie, mettra du temps à s'en remettre. Le cinquième album, sans titre, s'aventure vers des territoires que le groupe n'avait qu'effleurer jusqu'ici. Grand disque, trop souvent éclipsé par le rutilant Song 2, il est comme traversé par un spleen glaçant que le morceau Death of a party résume jusque dans son titre. Deux ans plus tard, en 1999, 13 poursuit cette mue sans convaincre réellement. Le groupe semble en fait être à bout de souffle, chacun de ses membres ayant des fourmis dans les jambes et des envies difficilement conciliables. Graham Coxon commence une carrière de songwriter folk peu probante, tandis que Damon Albarn, sans jamais céder à la tentation du disque solo, empile les projets : hip-hop avec Deltron 3030, world avec Mali Music, ou plus inclassable encore avec Gorillaz, sa grande œuvre. En deux albums géniaux, il invente un son à la croisée de la pop, de l'électro, du hip-hop et du dub, et une esthétique animée par Jamie Hewlett. Le dernier album en date de Blur, le sublime Think Tank sorti en 2003, est comme l'aboutissement de ce long voyage à travers les genres : les guitares y ont des intonations maliennes, la batterie cherche du côté de l'afro-beat, les morceaux rock multiplient les artifices de production venues de l'électro (Fatboy slim y tient les manettes). Coxon n'aurait que peu participé à la composition et à l'enregistrement de ce disque essentiel, un des meilleurs des années 2000. On a du coup longtemps pensé qu'il était un point final à la carrière de Blur. Mais le concert des Nuits de Fourvière cette semaine laisse augurer que, la crise passée, l'histoire continue. Sous le signe de la sagesse ?

Blur
Aux Nuits de Fourvière, dimanche 5 juillet.


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