Laura, année zéro


Zoom / Passé relativement inaperçu dans la foulée du gros succès de son recueil de nouvelles, L'Amour est très surestimé, Brigitte Giraud a publié l'an dernier un précieux petit livre accompagné d'un CD comprenant une lecture musicale avec Fabio Viscogliosi. Intitulé Avec les garçons, ce texte incandescent disséquait une période de la vie, l'adolescence, que l'on retrouve dans son nouveau roman, ‘Une année étrangère', puisque son héroïne, Laura, est âgée de 17 ans lorsqu'elle débarque au fin fond de l'Allemagne en tant que jeune fille au pair. Une parenthèse désenchantée dans la vie d'une adolescente confrontée à l'effritement de sa cellule familiale suite à la mort accidentelle de son petit frère. Propulsée dans une famille allemande apparemment «heureuse», Laura sera malgré elle l'otage et le témoin du drame qui frappera les Bergen… Roman de l'adolescence, ou plus précisément de la fin de l'adolescence et du douloureux passage à l'âge adulte, Une année étrangère est avant tout un livre sur la perte. Celle du frère, bien sûr, qui détermine le départ en Allemagne. Mais aussi la perte des repères, que Laura tente de compenser en envoyant de longues lettres à son frère Simon, en écoutant les Cure ou en lisant La Montagne magique de Thomas Mann. Il y a d'abord le fossé creusé par l'incompréhension de la langue : Brigitte Giraud montre avec beaucoup de subtilité comment la réalité devient impalpable lorsqu'elle est littéralement «innommable». Il y a ensuite, la perte des habitudes. Tout, dans cet environnement assez hostile, paraît étranger : les lieux (une ville perdue à la frontière avec l'Allemagne de l'Est), les gens (Laura fait aussi l'apprentissage d'une profonde solitude), jusqu'à son propre corps, dont Laura semble particulièrement encombrée (la scène de la fête et de la danse est, à cet égard, un modèle d'écriture). Il y a enfin, la perte de l'innocence et de la naïveté qui atteint son paroxysme avec la lecture solitaire et presque coupable de Mein Kampf. Une année étrangère est un roman émouvant et grave, portée par une langue à la fois inventive et limpide. Sans doute le plus accompli et le plus ample de l'auteur de Marée noire. YNRencontre avec Brigitte Giraud
À la librairie Passages, le 29 septembre à 18h30.


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Les feuilles d’automne