«Aux États-Unis, tout est à vendre»

Entretien / Steven Cohen présente ‘Golgotha', un spectacle à la mémoire de son frère suicidé, pendant le week-end des Subsistances. Récit d'un accouchement dans la douleur. Propos recueillis par Dorotée Aznar


Petit Bulletin : Pourquoi avoir tellement retardé la création de ce spectacle ?
Steven Cohen : J'ai eu des problèmes de santé auxquels se sont ajoutés des problèmes émotionnels et des questions pratiques. Les chaussures sur lesquelles reposent ce spectacle ont en effet été retenues à la douane et je ne voulais pas travailler «hors-la-loi». Et puis j'ai commencé à créer trop rapidement après la mort de mon frère, je n'étais pas prêt. Je ne suis toujours pas certain de l'être, mais je ne veux plus annuler.On vous a connu moins regardant avec les lois…
Quand je suis convaincu du bien fondé de ce que je fais, je ne suis pas aussi regardant. Mais cette fois, je travaille sur une matière immorale, et je voulais que tout soit en règle.Cette «matière immorale» dont vous parlez, ce sont les crânes que vous avez transformés en chaussures. Comment êtes-vous entré en leur possession ?
J'ai acheté ces crânes dans le quartier de Soho, en face de chez Chanel, dans une boutique qui vend des animaux empaillés et expose trente crânes humains dans sa vitrine. J'en ai acheté deux. Cela m'a coûté 2000 euros, on ne m'a pas demandé ce que j'avais l'intention d'en faire. Aux États-Unis, tout est à vendre.Pendant le spectacle, vous diffusez des vidéos où vous marchez sur ces «chaussures-crânes», à New York, et personne ne manifeste aucune réaction…
Aux États-Unis, tu peux marcher sur des crânes humains et tout le monde s'en fout ! Les gens ne voient pas les «détails». J'ai fait cette performance trois fois pour vérifier et jamais personne n'a m'a prêté attention ; les gens évitent de se regarder pour se protéger. L'unique endroit où les gens réagissent c'est à Ground Zéro, la seule chose qui soit un peu «sacrée» pour les Américains. Mais là encore, pour les gens qui s'offusquent, le crime, c'est moi et pas le magasin qui vend les restes humains.«Golgotha» n'est ni un spectacle de danse, ni même une performance….
C'est de l'art handicapé ! À la base, c'est tout ce que je déteste : des costumes, des lumières, une continuité dans le spectacle… Mais je suis certain que ce spectacle ne sera pas un «best-seller». Ce n'est pas un travail spectaculaire ou beau. Ce travail, c'est trop moi, il m'était nécessaire pour me nettoyer… Justement, comment vivez-vous le fait d'être devenu un artiste «à la mode» ?
Je hais la mode et je ne travaille ni pour l'argent, ni pour la gloire. J'ai peur d'être un jour piégé par les attentes du public et de m'installer dans un système.


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