Salle d'attente

«Rendez-vous», événement créé en 2002 défendant la jeune création contemporaine, propose une édition 2009 assez exceptionnelle réunissant une vingtaine de plasticiens. Parmi eux, l'Argentine Veronica Gomez expose une installation-environnement particulièrement émouvante... Jean-Emmanuel Denave


Un long couloir étroit et grisâtre. Au bout, on aperçoit la lumière d'une applique et entend quelques notes de piano s'égrenant seules, mélancoliques et vénéneuses. On apprendra plus tard qu'il s'agit des ‘Vexations' d'Erik Satie, composées en 1893 après à sa rupture avec la peintre Suzanne Valadon, seule (courte) liaison connue du musicien. Une brève mélodie qu'il faut répéter 840 fois et qu'un John Cage a eu l'enthousiasme d'interpréter dans son intégralité, vingt heures durant... L'amour, la création, le temps : voici les trois «héros» de Veronica Gomez posés d'emblée, par touches discrètes. Franchissant ensuite une vieille porte entrebâillée, nous découvrons une sorte de chambre de bonne, quittée récemment par une jeune inconnue : il y a des mégots de cigarettes nimbés de rouge à lèvres dans un cendrier, un petit lit défait avec un carnet à dessins posé dessus, des mules rouges au pied du lit, quelques bijoux et bibelots féminins sur la table de nuit... Le visiteur devient vite une sorte de détective traquant les indices pour en connaître un peu plus à propos de l'absente. Et sur un bureau trouve cette carte d'astrologue où il est écrit : «Vous trouverez l'amour de votre vie dans une traboule à Lyon». À côté, il y a le brouillon d'une lettre adressée à une amie où l'on apprend qu'à Lyon depuis deux mois, notre inconnue n'a cessé d'errer parmi les traboules afin d'y réaliser la prédiction, que rien ne s'est produit, et que, du coup, elle s'est mise à dessiner ces fameuses traboules lyonnaises, consciente que «tout ce qu'il lui reste à faire est d'attendre».Lignes
Sur les murs d'une petite alcôve, on découvre les dessins en question : fragments de traboules et d'escaliers en colimaçons, esquisses de fenêtres et de portes cochères, puzzle éclaté d'un travail en cours et inachevé... Les morceaux se mettent alors peu à peu en place dans notre esprit et les thèmes se déclinent avec simplicité : celui du labyrinthe borgésien, du rendez-vous amoureux qui est aussi un rendez-vous artistique, de leur impossible achèvement, de l'attente chère à tant d'artistes (pensons à ‘L'Attente' de Klimt, aux ‘Rivages des Syrthes' de Julien Gracq, aux poèmes d'Höderlin...), et surtout aux Surréalistes et à André Breton qui, dans ‘L'Amour fou', écrit : «Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique»... La litanie de Satie, «belle et triste» comme l'écrit l'inconnue, continue à dévider sa bobine mélodique, à l'instar du temps chez Borges, «labyrinthe qui se compose d'une seule ligne droite et qui est indivisible, incessant».Rendez-vous 09
À l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne jusqu'au 29 novembre.


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