Bacon, la chair de la peinture


«Eh bien, c'est sûr, nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez un boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l'animal», dit Francis Bacon (1909-1992) dans ses éclairants ‘Entretiens' avec David Sylvester. Dans l'une des sections les plus impressionnantes de l'exposition du Musée des beaux-arts, intitulée «Animalité», on découvre notamment une toile de l'artiste, Carcasse de viande et oiseau de proie (1980). Entrer dans la chair des choses, sa beauté et son horreur mêlées, entrer dans la sensation et ses abysses, tel est le but de Bacon, pour qui la peinture est «une tentative pour que la figuration atteigne le système nerveux de manière plus violente et plus poignante». De nerfs à nerfs, d'os à os, de viande à viande, de cri à cri, court-circuitant la raison et l'intelligibilité, l'art de Bacon va au cœur du mouvement, du hasard, de la violence, des élans et des instincts vitaux. À côté de la Carcasse, on peut découvrir une autre toile où une autre «bête» est cette fois-ci bien vivante, convulsive, au milieu de l'arène d'une corrida. ‘Étude pour une corrida' No 2 (1969) fait partie d'une série de trois tableaux ayant trait à la tauromachie. Un motif peut-être emprunté aux tableaux de Picasso (influence importante de Bacon), ou bien à l'œuvre littéraire de son ami Michel Leiris. Bacon qui travaillait presque toujours à partir de photographies, avait une admiration particulière pour Muybridge et ses clichés décomposant le mouvement. On retrouve dans cette toile le génie du peintre pour rendre le mouvement et une diversité de sensations en une seule «image». Mouvement qui est aussi métamorphose, avec ce devenir homme du taureau, et ce devenir animal du matador. Chairs communes et transmutées... En haut à gauche de son tableau, Bacon a peint une sorte d'ouverture sur ce qui ressemble fortement à un lugubre rassemblement nazi. Un motif plastique selon lui et non politique. Car chez Bacon le pictural prime avant tout et le peintre laisse au spectateur ses propres interprétations et élucubrations. JED


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«Braconner, trouver des chemins de traverse»