Un bon chanteur vivant

Après un double album magnifique qui le replace tout en haut du rock français, Dominique A repart en tournée — arrêt local à L'Épicerie moderne vendredi 13 novembre. L'occasion de dire, encore et toujours, l'importance d'un artiste intègre et essentiel. Christophe Chabert


Avec la sortie de La Musique, double album qui ne disait pas son nom — La Matière, le deuxième disque, n'est officiellement qu'un simple bonus du premier ! on a pu dire de nouveau à quel point Dominique A est un immense artiste. Fini le temps où l'on se forçait pour cacher nos réserves face à Tout sera comme avant (tentative bancale de «grand album» à la fois novateur et populaire) ou L'Horizon (et son petit goût d'inachevé). Plus besoin de sortir l'argument kubrickien du «on ne peut qu'être déçu», en regard des sommets qu'étaient La Fossette, Remué et AuguriLa Musique est un disque fulgurant, cohérent et passionnant de bout en bout, 24 chansons qui remettent leur auteur à leur juste place : au sommet. Pour arriver à ce résultat impeccable, Dominique A a d'abord fait table rase pour retrouver la simplicité de ses débuts : il l'a enregistré seul, comme au temps de La Fossette.

À l'origine

Pourtant, l'album est loin d'être minimaliste ; La Musique porte l'empreinte de toutes les aventures musicales traversées en quinze ans. Ainsi, La Fin d'un monde renoue avec le goût de la rumba qui avait fait la singularité de La Mémoire neuve ; la rythmique électro-indus qui soutient Bel animal creuse un tunnel vers le génie noire et audacieux de Rémué ; Seul le chien, lui, préfère la disco-rock du Courage des oiseaux, du moins dans la version live avec laquelle Dominique A enflammait son public pendant la tournée de L'Horizon ; enfin, avec Immortels et Hasta que el cuerpo aguante, les deux morceaux mis en avant lors de la sortie de l'album, c'est l'efficacité et la simplicité pop de Auguri que le chanteur retrouve, intactes. Et puis, il y a les textes, brillantissimes, qu'ils reposent sur de complexes métaphores (Rendez-vous avec la matière, qu'on est encore en train de creuser !) ou qu'ils se hasardent vers une timide lecture de l'actualité (Le Bruit blanc de l'été, où l'on entend cela : «Il y a trop de peine qui court dans ce pays / Des plaintes qu'on entendrait de loin si on pouvait»). Juste avant la sortie de La Musique, Dominique A avait écrit un petit livre de réflexion sur son travail intitulé Un bon chanteur mort. Il y faisait le deuil d'être jamais, de son vivant, considéré comme un grand artiste, et se résiliait lucidement à bâtir une œuvre qui ne prendrait tout son sens que post-mortem. C'est peut-être ce deuil-là qui, paradoxalement, a libéré à nouveau la musique de Dominique A, et en a fait, à nos yeux, le plus grand des chanteurs français vivants.

Dominique A
À l'Épicerie Moderne, vendredi 13 novembre
«La Musique (& La Matière)»(CinqSept / Wagram)


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