La question reste entière

Rencontre / L'historienne Elisabeth Roudinesco est l'invitée de la Villa Gillet pour une rencontre qui s'annonce passionnante autour de son dernier ouvrage, Retour sur la question juive. Un livre à mettre entre toutes les mains… Yann Nicol


En 1946, au lendemain d'une guerre qui aura vu l'extermination de plus de cinq millions de Juifs par les nazis, Jean-Paul Sartre publiait un ouvrage, intitulé ‘Réflexions sur la question juive', dans lequel le philosophe tentait une définition de l'antisémite et du démocrate, en faisant du regard d'autrui l'origine principale d'une « identité juive » : «C'est l'antisémite qui fait le Juif», écrivait-il notamment dans un livre qui reste une référence malgré les nombreuses polémiques qu'il a soulevées. Plus de soixante après, la «question» est loin d'être réglée : l'antisémitisme est toujours présent, rampant même, et symbolisé par le tragique cercle vicieux que représente le conflit israélo-palestinien. L'historienne et psychanalyste Elisabeth Roudinesco (qui vient d'entrer dans l'histoire des idées avec la publication de son vivant, dans la pochothèque, de son ‘Histoire de la psychanalyse en France') étudie cette question avec un livre dont le titre fait bien sûr écho à celui de Jean-Paul Sartre : Retour sur la question juive.Dans l'esprit des Lumières
En bonne historienne, Elisabeth Roudinesco revient d'abord sur les origines du mal, en insistant sur la distinction à faire entre l'antijudaïsme du Moyen-Âge et celui des Lumières, avant tout hostile à l'égard de l'obscurantisme religieux. De philosophie des Lumières, il est question dans l'ensemble de ces pages, puisque c'est à cet esprit qu'Elisabeth Roudinesco fait appel pour répondre aux questions qui traversent l'ensemble de son ouvrage : «Qui est antisémite et qui ne l'est pas ? Comment contribuer sereinement à libérer le débat intellectuel des folies, des haines et des injures qui se disent autour de ces questions ?». Les réponses, Elisabeth Roudinesco tente de les trouver en auscultant les étapes fondatrices de l'antisémitisme européen, en analysant la naissance de l'idée sioniste, l'institution de l'Etat d'Israël en 1948, mais aussi en décortiquant les enjeux du discours négationniste (une entreprise de falsification historique qui est ici qualifiée de «grand délire dévastateur») et en mettant en exergue les «figures d'inquisiteurs» qui, au fil de procès intentés pour antisémitisme, semblent déplacer le débat sur la question juive vers une autre sphère… Une étude érudite et pourtant très «lisible», durant laquelle l'historienne nous aiguille aussi sur le positionnement et l'apport de nombreux intellectuels, de Freud à Jean Genet en passant par Anna Harendt ou Jacques Derrida. Elisabeth Roudinesco
À l'Institut des Chartreux, jeudi 3 décembre à 20h.


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