Gagnés par le doute

Expos / Nous sommes perdus mais rien n'est perdu. Telle est l'impression laissée par les deux expositions collectives de l'IAC : au bord du vide, les artistes n'ont jamais été aussi différents dans leurs approches, curieux, défricheurs, gagnés et gagnants par le doute... Jean-Emmanuel Denave


Dans l'une des premières salles de l'Institut d'art contemporain sont présentées deux œuvres de Philippe Decrauzat : un morceau de barrière, noir, et qui semble suspendu au-dessus du sol, et un sol justement, peint de lignes noires ondulant sur fond blanc... L'effet optique donne l'impression qu'il se dérobe sous nos pieds, bouge et se disperse en plusieurs pistes sinueuses et troublantes. Bienvenue dans un univers (le nôtre) dont l'espace et le temps sont sortis de leurs gonds, aux repères s'effaçant et flottants, aux chemins multiples et nébuleux ! Sur notre gauche, la première exposition rassemble plusieurs œuvres des collections de l'IAC : des «Étagères» de Delphine Reist avec des outils électriques (perceuses, ponceuses...) se révoltant bruyamment contre leur enfermement derrière des vitrines, jusqu'à l' «Arbre en bois sous un soleil électrique» de Pierre Malphettes, arbre totalement artificiel mais qui glisse cependant peu à peu vers une présence poétique et mélancolique. On découvrira aussi, au sein de l'accrochage, l'installation vidéo en cinq écrans de l'Espagnol Jordi Colomer, «En la Pampa». Soit l'errance d'un couple dans le désert chilien, discutant de tout et de rien, errant parmi les pierres ou le long de routes sans destination. Le vide, le fragment et l'errance constituent chez Colomer des motifs certes désenchantés, mais parcourus aussi de désirs et de liberté...Tout se barre
L'autre exposition collective, organisée par Sandra Cattini, s'intitule «La Vie barrée de travers », mot-dessin emprunté à Jimmie Durham et qui ressemble à un panneau signalant la sortie d'une agglomération. Sortie de route donc encore une fois, qui propose des pistes artistiques dispersées aussi différentes que celle, quasi-documentaire, à propos du monde virtuel de «Second Life» de Della Negra & Kinoshita ; l'art pauvre de Frazisca & Lois Weinberger sculptant un crâne à partir d'une feuille morte ; les dessins écorchés vifs de Jean-Xavier Renaud accrochés pêle-mêle et glissant d'un jeu d'images ou de mots à l'autre avec force érotisme, provocation, goût du cru et du pulsionnel... Symptomatiquement, l'artiste Noëlle Pujol s'interroge sur ses propres racines familiales inconnues à travers deux modes d'expression : le témoignage filmé d'un vieil homme qui a connu ses parents biologiques ; des dessins aux couleurs éclatantes où elle représente avec vitesse et virulence plusieurs épisodes de son enfance. Les montagnes y saignent, les viandes giclent, les personnages sont soulignés par de sinistres et noires coulures... Les racines s'effilochent, la transmission bat de l'aile, notre place dans le monde n'a rien d'évident : ça donne le vertige, mais il faudra faire avec.« La Vie » + Collection
À l'Institut d'Art Contemporain à Villeurbanne jusqu'au 14 février.


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