Qui es-tu le manga ?


Genre / À l'heure où la création contemporaine, sur les planches comme dans les galeries, s'empare de ses codes esthétiques, il n'est pas inutile de rappeler que le manga est le support d'un vivier créatif et économique bien plus riche que le défilé de poitrines opulentes et de robots géants auquel il a souvent été réduit. Il suffit pour s'en rendre compte de remonter au moment où la distribution de bandes dessinées japonaises en France a explosé. Nous sommes en 1990 et, à ce jour, en dépit des audiences du Club Dorothée, pionnier de la diffusion de séries animées produites au Pays du Soleil Levant, les rares tentatives des éditeurs de détourner les lecteurs de leurs phylactères franco-belges n'ont pas été de franches réussites. Question de timing : en mars 1990, Glénat sonne la charge en débutant la publication d'«Akira» de Katsuhiro Ōtomo, épopée post-apocalyptique révolutionnaire dont l'adaptation cinématographique fait grand bruit. En moins de temps qu'il n'en faut pour crier «kamehameha», tous ses concurrents vont partir à l'assaut de cet eldorado d'apparence inépuisable. Et pour cause ! Au Japon, le manga fait presque partie du décor. Des ados aux salary men, près de 60% de la population en lit toutes les semaines, dans le métro comme dans l'intimité d'une chambre remplie de produits dérivés. Figurines, films ou vêtements, ces derniers constituent d'ailleurs, avec l'obligation pour certains auteurs de faire appel à des assistants pour tenir leurs délais, l'attribut le plus visible du dynamisme d'un secteur où l'offre est aujourd'hui d'une variété indécente. Nul hasard derrière cette consommation galopante et la déferlante mondialisée qui lui fait écho : si la bande dessinée japonaise est si populaire, c'est grâce à son histoire. Les premières traces d'art séquentiel nippon remontant au XIIe siècle, dessinateurs et scénaristes ont eu le temps d'en maîtriser les particularités (ultra-expressivité des visages, narration dilatée, onomatopées…) de les bousculer et de les mettre au service de toutes les thématiques. Le plus remarquable représentant de cette mutation n'est autre qu'Osamu Tezuka, le «père du manga moderne», qui explora dans plus de 700 œuvres des sujets aussi divers que l'éthique médicale, l'intelligence artificielle et le bouddhisme sans cesser de faire évoluer son style. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que le manga soit aujourd'hui l'un des champs d'expérimentation les plus décomplexés qui soient. Benjamin Mialot


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