Les amants de la nuit

Jacques Bral revient à l'Institut Lumière pour présenter la copie restaurée d'"Extérieur nuit", film culte fonctionnant sur l'entre-deux : entre deux décennies, entre la nuit et le petit matin, entre l'utopie et la désillusion… CC


En 1980, alors que le cinéma français se cherche un deuxième souffle, la société française s'apprête à tourner la page : mai 68 va devenir mai 81, et l'esprit du premier échouera sur la réalité pragmatique et les nombreux renoncements du second. En apparence, "Extérieur nuit" ne parle pas de ça, puisque son scénario ne fait que prolonger ce qui est, depuis la Nouvelle Vague, l'ordinaire du cinéma d'auteur français : deux hommes, Léo-Lanvin, vaguement musicien, et Bony-Dussollier, lointainement écrivain, tombent amoureux de la même femme, Cora, conductrice de taxi la nuit dans les rues de Paris. Surface sensible aussi fascinante que le visage de son actrice Christine Boisson, Cora passe au fil de nuits sans sommeil de l'écorché au timide, de l'impulsif au cérébral, sans jamais s'abandonner à l'un ou à l'autre.

Crépusculaire

Il y a dans "Extérieur nuit" un parfum de "Jules et Jim", mais surtout quelque chose de "La Maman et la putain". Du film de Truffaut, on retrouve évidemment le triangle amoureux, mais aussi l'absence de commentaire moral sur cette situation ; quant à la filiation avec Eustache, elle se traduit surtout par une envie de saisir le pouls d'une époque en laissant pénétrer entre ses lignes l'incertitude d'une génération noctambule pour qui le jour se lève. Si "Extérieur nuit" est un film au présent, tourné dans des cafés, des appartements, des rues portant leur poids d'authenticité, il est comme hanté par la certitude que ce présent n'est que la relique d'un passé déjà lointain (68, la révolution sexuelle) prêt à être englouti par un brutal retour au réel. Léo et Bony rêvent de liberté créative, mais ils s'abîment dans des travaux alimentaires et vivent l'un sur l'autre comme des parasites. Et leur ronde autour de Cora se teinte peu à peu de rivalité, la perspective du couple étant vécue dans le film comme une fatalité nécessaire. Bral sonne à sa façon la fin de la récréation libertaire, non sans mélancolie. Dix ans plus tard, Éric Rochant relancera le cinéma français avec "Un monde sans pitié" qui, par plus d'un aspect, répond à "Extérieur nuit" : la désillusion a emporté le morceau, et l'amour avec un grand A est le seul horizon sincère d'une génération blasée, ayant troqué l'innocence contre le cynisme, victime d'une décennie de compromis. En cela, "Extérieur nuit" est un film-clé pour qui veut comprendre l'histoire récente de la France et de son cinéma…

Extérieur nuit
De Jacques Bral (1980, Fr, 1h52) avec Gérard Lanvin, Christine Boisson, André Dussollier…
À l'Institut Lumière mercredi 24 février, en présence de Jacques Bral.


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