L'œil et l'oreille

Musique / La création musicale contemporaine a rendez-vous à Lyon. Du 1er au 21 mars, la Biennale Musiques en scène invite 33 compositeurs du monde entier. Ils viennent redire, s'il le fallait, que la création est multiple, mouvante et qu'elle se réinvente sans cesse. Pascale Clavel


Cette saison, James Giroudon, le directeur artistique de la biennale Musiques en scène, a fait appel à des artistes qui travaillent sur les relations entre musique et image. Les univers se croisent, se répondent, s'enrichissent et il en sort des œuvres d'une incroyable diversité où le propos artistique prend une véritable épaisseur. Pour la cinquième édition de cette Biennale, James Giroudon a mis à l'honneur la compositrice finlandaise Kaija Saariaho. Le public lyonnais va découvrir une œuvre singulière, inclassable, au lyrisme impressionnant, d'une grande sensibilité et d'une intelligence artistique reconnues dans le monde entier. Son répertoire riche de plus de 150 titres, consacre une large part à la musique de chambre bien que, depuis l'an 2000, Kaija Saariaho se tourne vers des compositions plus amples. Après deux opéras et un oratorio, la voici donc à Lyon pour présenter son nouvel opéra, Émilie. Comme le premier, L'Amour de loin, comme le deuxième Adriana Mater, comme son oratorio La Passion de Simone, Émilie est écrit sur un livret d'Amin Maalouf. La collaboration entre les deux artistes semble désormais acquise même si la compositrice s'en défend mollement. Il est un fait que le travail de l'un enrichit la création de l'autre. Musique mobile
L'univers de Kaija Saariaho est fait d'une multiplicité d'éléments et les rencontres entre instruments réels et sons électroniques jalonnent ses pièces. «J'utilise l'électronique quand j'ai le sentiment d'en avoir besoin. Ma manière de m'en servir est très reconnaissable. C'est une façon de réorchestrer, un prolongement de l'instrument. J'aime lisser les frontières entre les deux univers», explique-t-elle. Lorsqu'on lui demande s'il existe une hiérarchie dans son œuvre, elle répond : «toutes les compositions sont très importantes, mon premier quatuor Nymphea a plus de vingt ans, il est dans le répertoire de plusieurs Quatuors et sera joué ici par un tout jeune quatuor, le quatuor Tercea. J'aime le travail avec les étudiants et, pour cette Biennale, les élèves du CNSMD vont jouer aussi mes pièces». Chacune de ses œuvres serait nécessaire, de son grand concerto pour violoncelle à des œuvres plus intimes pour voix ou quatuor et électronique. Pour Kaija Saariaho, les concerts qui se passent dans les petites salles ne sont pas moins importants que les autres. Très souvent, le contact avec la musique ne dépend pas de la taille de la salle mais de ce qui s'y passe. «Le plus important reste la communication entre les musiciens et les gens qui les écoutent».Des érudites
L'Émilie du nouvel opéra de Kaija Saariaho, c'est Émilie du Châtelet. Érudite française du XVIIIe siècle, devenue l'une des plus grandes scientifiques de son époque, elle a par exemple entrepris la traduction du latin en français des Principia Mathematica de Newton. Esprit extrêmement libre, amante de Voltaire, elle écrit en plein XVIIIe siècle : «Pourquoi devons-nous servir notre Dieu et le faire à travers nos souffrances ? Pourquoi ne pas le servir à travers nos plaisirs ?». Mais qui connaît Émilie du Châtelet au XXIe siècle ? C'est après la lecture d'Émile, Émilie d'Elisabeth Badinter, que Kaija Saariaho a eu l'idée de cet opéra. «Il y a énormément de femmes comme Émilie dans l'histoire… Depuis le début de notre culture occidentale, les femmes qui ont eu la possibilité de s'exprimer sur le plan artistique étaient dans des monastères. Leur musique n'a donc pas beaucoup circulé. Mais ce phénomène est plus général, l'histoire a été écrite par des hommes». Des femmes à découvrir lors de cette édition de la Biennale.Émilie
À l'Opéra de Lyon, jusqu'au samedi 13 mars.


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