Soul Kitchen

Après deux très grands films, "Head on" et "De l'autre côté", Fatih Akin s'offre un break avec une comédie utopiste et musicale, pas toujours drôle mais souvent plaisante, joli portrait du Hambourg d'aujourd'hui et de sa population. Christophe Chabert


De la part d'un cinéaste qui semblait parti pour s'installer dans le clan des grands auteurs européens, Soul Kitchen surprend. Après la tragédie Head on et le drame choral De l'autre côté, Fatih Akin ose une comédie simple, linéaire et dans l'air du temps. Où l'on voit un ado attardé gérer un restaurant plutôt glauque dans un quartier en friche de Hambourg. Il laisse sa petite amie friquée s'envoler à Shanghaï pour devenir correspondante de presse et recueille son frère, en liberté provisoire. Sa rencontre avec un chef aussi irascible qu'inspiré (le génial Birol Ünel, découvert dans Head on), un mal de dos qui le conduit chez une jolie kiné, sa passion pour la musique soul et, en fin de compte, le désir d'inventer un lieu d'utopie où la cuisine serait l'âme d'une communauté, forme le ciment des nombreuses péripéties qui rythment le scénario, généreux quoiqu'un rien boulimique.

Gastro utopique

Pour filer la métaphore, disons que Fatih Akin est meilleur lorsqu'il travaille sur la finesse des ingrédients ou le mélange des saveurs que quand, comme ici, il s'emploie à une grande bouffe un peu roborative. Car Soul Kitchen échoue à être vraiment drôle ; quand Akin s'aventure dans le gag visuel ou le comique de situation, le film a des semelles de plomb. Sa légèreté est à chercher ailleurs. D'abord dans le portrait d'une ville, Hambourg, qui est pour Akin le lieu de tous les — encore — possibles. Soul Kitchen, c'est un peu La Belle équipe allemande : des êtres qui mettent leurs talents en commun pour créer une petite entreprise humaniste et joyeuse, un outil de travail et un lieu de plaisir. La caméra, plus agitée qu'à l'accoutumée chez Fatih Akin, capte cette énergie comme si elle était déjà sur le point de disparaître. C'est d'ailleurs l'enjeu d'une des pistes du récit : le quartier est menacé par la spéculation immobilière, qui vise à la remplacer par des immeubles et des bureaux. Tous les personnages sont d'ailleurs caractérisés par une même précarité : squatteuse, vieillard sans le sou, repris de justice, rocker condamné à être serveur pour gagner sa vie… Sans jamais se départir de sa bonne humeur, le film esquisse une réflexion en demi-teintes sur le bon usage de la marginalité pour faire face à la rapacité des possédants et des édiles. Soul Kitchen reste toutefois un divertissement modeste, formidablement servi par un casting parfait — des actrices craquantes, des acteurs attachants — et une bande-son qui collectionne les standards funk-soul germanophones de haute tenue.

Soul Kitchen
De Fatih Akin (All-Fr, 1h39) avec Adam Bousdoukos, Moritz Bleibtreu, Anne Bederke…


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«Mon identité, c’est le cinéma»