Laurent Binet

HHhH (Grasset)


La vive polémique entre Claude Lanzmann et Yannick Haenel autour du roman Jan Karski, qui aura au moins eu le mérite de montrer que la littérature a encore un minimum d'écho dans notre société, pose de fait les enjeux des liens entre l'histoire, la littérature et la fiction. Les questions de la légitimité, de la responsabilité et de l'impact du romancier sont au cœur du premier roman de Laurent Binet, intitulé HHhH, dans lequel cet enseignant de 32 ans revient sur un fait majeur de la Seconde Guerre mondiale : l'attentat, perpétré à Prague en 1942, sur l'un des cerveaux de la «Solution finale», Reinhard Heydrich. Bras droit de Himmler (d'où le titre, "Himmler hirn Heist Heydrich", qui signifie 'Le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich'), celui qui était surnommé «La bête blonde» est la figure centrale d'un roman qui est en quelque sorte accompagné de son making-of. Alors que l'auteur dresse le portrait du bourreau, relate les préparatifs et le déroulement de l'attaque, donne à voir le fait historique dans sa «vérité», ou sa «réalité», il se met lui-même en scène en train de s'interroger sur son entreprise. En résulte un livre passionnant de rigueur et d'intelligence sur le plan historique, en même temps qu'une vraie réflexion sur le rôle, les limites et les pouvoirs de la fiction. Avec, bien souvent, l'impression que c'est précisément la littérature qui donne à voir le fait historique sous son aspect le plus complexe : «Je suis frappé tout de même par le fait que dans tous les cas, la fiction l'emporte sur l'Histoire. C'est logique mais j'ai du mal à m'y résoudre». YN


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William McKeen