En plein bouclage…

La Ciné-collection propose pour ce mois d'avril le troisième film réalisé par l'excellent Richard Brooks, "Bas les masques", film noir classique au sujet toujours d'actualité : comment la loi du marché muselle la liberté de la presse. Christophe Chabert


La carrière de Richard Brooks, un peu comme celle de John Huston, se fait en trois temps : d'abord scénariste (notamment pour… Huston), il passe réalisateur en plein âge d'or du cinéma des studios. Ses premiers films témoignent d'un style vif et maîtrisé mais encore conforme aux standards imposés par Hollywood. C'est par le choix de ses sujets, souvent progressistes, et parce qu'il écrit ses propres scripts que Brooks se singularise. Quand cet âge d'or se lézarde, le cinéaste arrive à garder la tête hors de l'eau en multipliant les adaptations, souvent brillantes : La Chatte sur un toit brûlant et Doux oiseau de jeunesse d'après Tennessee Williams, Lord Jim d'après Joseph Conrad… À cette période, son film le plus fort reste De sang froid, qui retrouve la narration objective et presque journalistique du livre de Truman Capote, tout en stylisant à l'extrême ses personnages et sa mise en scène.

Journaliste, métier à risques

Le journalisme, c'est justement le sujet de Bas les masques (Deadline, USA en VO) que Brooks réalise en 1952. C'est son troisième film et c'est un modèle de film noir, même si son héros n'est ni flic, ni privé ; c'est un rédacteur en chef en pleine crise conjugale, mais aussi en plein désarroi professionnel. Son journal, The Day, vient d'être racheté par son principal concurrent et la ligne éditoriale risque d'être expurgée de ses enquêtes les plus explosives. Il voit d'abord dans cette déveine l'occasion de s'occuper à plein temps de sa femme. Mais son instinct de journaliste reprend le dessus quand un de ses reporters est agressé par un gangster ; il espère alors le confondre dans une affaire de meurtre qu'il révèlera en "Une" du "Day". Porté par un dialogue particulièrement drôle et savoureux et par une prestation magistrale de Bogart dans son éternel rôle d'idéaliste enclin au cynisme face à la médiocrité du monde, Bas les masques parvient à jongler avec talent entre les codes du genre (l'enquête, avec ses rebondissements et son suspense final) et une réflexion toujours actuelle sur la liberté de la presse. Le film montre que la loi du marché est un prétexte pour liquider les velléités d'un contre-pouvoir gênant pour les puissants, qu'ils soient du côté du crime ou du côté d'un "establishment" corrompu. D'une efficacité toute classique, Bas les masques mérite d'être redécouvert pour ce propos encore au centre des débats aujourd'hui, en Amérique comme en France.

Bas les masques
De Richard Brooks (1952, ÉU, 1h27) avec Humphrey Bogart, Kim Hunter…
Jusqu'au 4 mai dans les salles du GRAC.


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