Mammuth

De Gustave Kervern et Benoît Delépine (Fr, 1h33) avec Gérard Depardieu, Yolande Moreau, Isabelle Adjani, Miss Ming…


Quelles traces laisse un homme dans un monde où le travail est devenu la vraie mesure de la vie ? Des bulletins de salaire, des attestations de cotisation retraite… Mais ces traces, la société libérale n'est-elle pas en train de les effacer à coups de concentrations industrielles, de délocalisations et de faillites ? C'est l'expérience que va vivre Serge Pilardosse ; à l'orée de ses soixante ans, il doit faire le tour de ses anciens employeurs pour espérer toucher une pension à taux plein. Il enfourche donc sa vieille moto allemande (une Munchen Mammut) et part sur les routes à la recherche des précieux documents. Sauf que… Entre patrons grabataires, entreprises envolées, rencontres malheureuses ou au contraire libératrices, Serge va perdre de vue sa quête et découvrir autre chose… Parti comme une suite logique de leur précédent Louise-Michel (une charge vacharde contre l'absurdité capitaliste), Mammuth, comme son personnage, bifurque en cours de route. Kervern et Delépine aussi : leur film est sans doute le plus libre, le plus grisant et le plus touchant qu'ils aient réalisés. Loin des plans millimétrés d'Aaltra et d'Avida, la chair filmique de Mammuth se présente comme une matière instable et malléable, au diapason de l'élan vital fougueux et bordélique qui emporte Serge, incarné par un Depardieu osant avec génie le grand écart entre son impressionnante corpulence physique et une fragilité intérieure bouleversante. Depardieu confère au film l'indispensable présence qui lie ensemble tous ces éclats d'existence — Kervern et Delépine multiplient les caméos, peuplant Mammuth d'une galerie de personnages dont certains n'ont tout bonnement aucune fonction narrative, comme Poelvoorde sur la plage ou Annegarn au cimetière ! La dernière partie, étonnante, se focalise sur les rapports entre Serge et sa nièce adepte de l'art brut. Le film n'est plus alors qu'une suite d'instants suspendus, un superbe poème cinématographique qui se conclue par une vraie poésie, naïve et émouvante. Dans Mammuth, c'est bien la légèreté qui triomphe !

CC


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Mammuth, poids léger