Les Poings dans les poches

De Marco Bellocchio (1965, It, 1h47) avec Lou Castel, Paola Pitagora…


Le film inratable de la semaine n'est pas une nouveauté mais une reprise ; en 1965, Marco Bellocchio réalise son premier long-métrage, Les Poings dans les poches, et s'inscrit immédiatement à contre-courant du cinéma italien dominant — il conservera cette singularité jusqu'au très beau Vincere sorti l'an dernier. Une grande famille bourgeoise italienne y est décrite comme un nid de névroses où tout est fait pour que personne ne la quitte, sinon les pieds devant. C'est pourtant le projet du chef de famille, occupé par ses affaires florissantes et pressé de s'installer avec sa maîtresse. Sa sœur et son frère cadets ne le voient pas de cet œil — la mère, elle, est aveugle, et le dernier frère est autiste. La folie meurtrière s'empare lentement de la demeure, aussi glaciale que le noir et blanc coupant du film ou que son environnement, une Italie montagneuse et enneigée. Plus marxiste que freudien, Bellocchio se refuse à expliquer les soubassements psychanalytiques de son histoire, et préfère capter les gestes indéchiffrables, violents et imprévisibles d'Allessando, incarné par un tout jeune — et saisissant — Lou Castel. De même, il ne porte aucun jugement moral sur cette spirale destructrice, comme si ce mélange d'oisiveté bourgeoise et de clanisme incestueux ne pouvait que tendre vers une inévitable implosion. Contemplant avec un style sec et tranchant ce désastre annoncé, le cinéaste confère à chaque image une puissance fascinante et morbide qui hante l'esprit longtemps après la fin du film.

Christophe Chabert


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