Fourvière sans frontière

Festival / Début cette semaine des Nuits de Fourvière 2010 : deux mois de théâtre, de danse, de cinéma et de musique où s'affichent l'envie de proposer des projets inédits et de réunir dans le théâtre antique des artistes de tous les continents. Christophe Chabert


Il est plaisant de constater comment, en quelques années, les Nuits de Fourvière ont réussi, tout en gardant leur approche pluridisciplinaire, à trouver une cohérence dans leur programmation. Cela tient d'un côté à la fidélité à certains artistes (Philip Glass, Maria Pagès ou le Kronos Quartet récemment…), de l'autre à l'envie d'ouvrir les théâtres romains de Fourvière à toutes les cultures, dans un world panorama aussi bien musical que théâtral ou chorégraphique. Tout est affaire d'équilibre : si les grands concerts populaires sont toujours une des échines fondamentales du festival (cette année, Vanessa Paradis, Iggy Pop, M, Souchon et Mark Knopfler, tous déjà sold out, ou Benjamin Biolay, Jacques Dutronc et Charlotte Gainsbourg, où il reste encore des places), ce sont bien les projets les plus inattendus, inédits ou risqués qui fourniront l'identité et la singularité de la manifestation.Flamenco y rumba
Comme on rentre de Cannes, on peut par exemple parler du phénomène Staff Benda Bilili qui a animé la Croisette et qui, ô joie, viendra clore une très belle nuit de la rumba le lundi 26 juillet. Ces musiciens congolais vivant dans les rues de Kinshasa, tous paraplégiques des suites de la poliomyélite, fabriquent leurs instruments avec du matériel de récupération et inventent un style qu'on pourrait qualifier de rumba-funk, c'est-à-dire une version très africanisée de la rumba cubaine, ses quatre chanteurs pouvant même aller jusqu'à une forme de hip-hop primitif (comme sur l'hymne du groupe qui lui donne son nom). On sent que cette nuit de la rumba a été construite pour accueillir cette formation unique en son genre, mais elle permettra aussi de découvrir une vieille gloire du genre, le sémillant septuagénaire Peret, mythique pionnier de la rumba catalane, technicien brillant et voix d'or dont le come back ressemble à ces films indé américains façon The Wrestler ! Par ailleurs, au cœur du festival 2010, cinq nuits seront consacrées au flamenco avec deux spectacles et un concert. Maria Pagés, figure majeure du flamenco, dont les précédentes créations ont déjà été présentées à Fourvière, revient avec un «autoportrait» et un duo avec Sidi Larbi Cherkaoui, "Dunas". La rencontre entre la danseuse formée par Antonio Gadès et celui qui fit ses armes avec le Belge Alain Platel (soit le croisement entre deux approches chorégraphiques, une néo-classique, l'autre contemporaine) pourrait être un des moments forts de cette édition. Au milieu de ce cycle, un concert du mythique Diego El Cigala viendra compléter ce voyage à travers le monde du flamenco.Tour operator sonore
Faire un tour du monde musical depuis non pas une ville mais un quartier, c'est l'objectif de la Nuit Brooklyn confiée aux bons soins de The National. La sortie récente de "High violet", leur nouvel album, a permis de mettre en lumière ce groupe majeur du rock actuel, mariant érudition et efficacité ; mais ce sont bien en tour operators musicaux qu'ils viendront dans un premier temps à Fourvière pour faire découvrir la nouvelle scène de Brooklyn, en effervescence actuellement avec les succès de Grizzly Bear et de Beirut. Hôtes de la soirée, ils présenteront la soul vintage de Sharon Jones, le folk nu de Saint-Vincent et surtout, première lyonnaise, les incroyables Dirty Projectors qui font voler en éclat les formats et déchirent les étiquettes en composant des chansons où circulent réminiscences de la musique africaine, percussions organiques, vocalises chorales et bouffées de rock fiévreux. Sans doute la musique la plus novatrice depuis le post-rock de Chicago, dont leurs copains de Vampire Week-end fourniront le lendemain (toujours avec The National, cette fois dans un concert à part entière) une version pop et branchée. Autre projet exceptionnel : réunir une poignée d'artistes européens pour ressusciter le disque chant du cygne des Beatles, "Let it be". Une création made in Fourvière avec, excusez du peu, Mathias Malzieu (sans Dionysos), Loney Dear (orfèvre pop suédois), Cocoon, Yael Naim ou l'Irlandaise inconnue (mais pas pour longtemps…) Camille O'Sullivan, tous appelés à reprendre à leur manière les morceaux cultes de cet album accouché dans la douleur, au crépuscule du groupe. Dernier voyage, et pas des moindres, celui que se propose d'effectuer Tony Gatlif à travers la musique de Django Reinhardt : ou comment la musique tsigane, nomade par essence, est devenue sous les doigts de Django et de sa guitare un genre nouveau, le jazz manouche, tandis que son auteur se sédentarisait quelque part entre la France et la Belgique. Un bon résumé des Nuits de Fourvière 2010 : de la rencontre entre les artistes et les cultures peut naître du jamais vu et du jamais entendu.Les Nuits de Fourvière
Du vendredi 4 juin au samedi 31 juillet.


<< article précédent
Sous le signe d'Hippocampe