Ceci n'est pas un Arandel

Portrait / Projet musical plus qu'entité à part entière, Arandel s'attache à brouiller les pistes qui mènent à son univers sonore. Soit un concept d'électro organique bâtie sur un dogme musical plus libérateur que contraignant. Le tout décliné sur un album déroutant, «In D». Stéphane Duchêne


Des arbres, du vent dans les feuilles, une ombre qui passe. Et soudain, par petites touches, traversant furtivement le plan, une étrange créature des bois au masque étrange et encapuchonné, dont l'aspect inquiétant est transcendé par une musique obsédante, mais qui ne dit rien qui vaille. S'il s'agissait du teaser d'un film (1), version éthérée de Jabberwocky, le Terry Gilliam adapté de Lewis Carroll, ou «Sa Majesté des Mouches aux champignons», on aurait hâte de voir la version longue. Mais c'est de musique dont il s'agit, d'un album aux morceaux numérotés faute de titres et dont l'écoute fait à peu près le même effet que ce petit film, sans les images. Comme si le hors champ musical renfermait quelque chose qui semble tout proche et fait craquer des branchages : en fait, un artiste dont on ne saura rien et qui se range derrière son projet.

«Arandel n'est pas un groupe, Arandel n'est pas un personnage», mentionne la bio officielle. Ce que martèle le musicien à l'origine de la chose : «Arandel n'est pas un pseudo, ce n'est pas moi, c'est le nom d'un projet musical, d'un dogme». Une musique qu'on n'osera pas qualifier de désincarnée tant elle est organique et, au fond, vivante, par elle-même : «J'avais envie de voir jusqu'où on peut aller en 2010 en défendant un projet musical. Est-ce qu'une musique peut exister par elle-même sans qu'on colle quelqu'un derrière ?» Il ne s'agit donc pas ici d'avancer masqué (au sens propre), au contraire d'un courant de musiciens (de Daft Punk à … Slipknot) dont le masque finit par avoir valeur d'identité. Cette créature masquée courant les bois n'est donc qu'un avatar échappé d'un univers musical, la persistance rétinienne d'une idée avortée : «On a un temps réfléchi à cette histoire de personnage, à faire des interviews masqués, à lui inventer une fausse biographie. Mais c'était à l'opposé de la musique qui va avec, voulue comme la plus acoustique, organique et humaine possible. Mentir sur une identité, cela ne collait plus».

Matière organique

La musique donc, mieux, le «dogme» musical : en gros, de l'électro qui n'en est pas vraiment, fabriquée à base de matière «organique», autrement dit avec la chair de véritables instruments. Une contrainte qui, pour l'intéressé, masque un impératif : «j'ai toujours préféré chercher des textures sonores à partir d'instruments plutôt que dans des bases de données ou des logiciels. Et puis quitte à aborder le milieu de l'électro, qui m'était étranger, autant le faire avec mes propres armes». Autre règle : travailler sur des variations à partir d'un thème musical. Un projet a priori assez barré qui n'a pas effrayé Infiné, label étendard d'Agoria : «c'est la première fois que je travaille avec un label qui me dit : «ne te pose pas de question, fais ce que tu as envie de faire, plus c'est barré mieux c'est»»

Ça tombe bien, Arandel est un laboratoire, un truc d'apprenti sorcier. Et comme dans tout labo de recherche, la trouvaille naît parfois de l'accident, le dogme de la contingence : un remix refusé par un groupe, mais qui plaît à Agoria, lequel commande un puis deux puis trois morceaux. Puis plus, jusqu'à avoir assez de matière pour un album dont la théorie s'élabore en même temps que l'expérience : «le projet s'est bâti sur cette suite de variations auxquelles je n'avais pas pensé au départ. Les concepts du projet et de l'album se sont vraiment développés parallèlement». Pas question pourtant pour cet album in vitro d'y demeurer. Car la formule n'est qu'une base qui demande à être mise en équation live à la rentrée : «On est en train de mettre en place deux formules, l'une en duo où on va jouer les morceaux de l'album avec des machines et des instruments, l'autre avec six musiciens multi instrumentistes autour de l'idée de séquence répétitives». Chaque musicien sera alors libre de passer d'une séquence à l'autre quand il le souhaite, sans chef d'orchestre. Il serait même possible de faire participer le public. «L'idée, c'est que chaque musicien devienne Arandel. Et même qu'un jour, Arandel se fasse sans moi, sur disque comme sur scène. Le prochain album sous le dogme Arandel peut très bien être l'œuvre de quelqu'un d'autre». À ceux qui se demanderaient : «Qui est Arandel ?», on répondra donc comme le héros de V pour Vendetta : «C'est une idée, donc ça peut-être vous».

Arandel – Overture, réalisé par Venkman :

Arandel - Overture from InFine Music on Vimeo.

"In D" (Infiné)
Sortie le 28 juin


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