Images d'Afrique

Expositions / La Biennale Passages ouvre un œil panoramique sur la photographie africaine, réunissant jeunes pousses et photographes confirmés, comme le célèbre Malick Sidibé. Une manifestation foisonnante et sympathique. Jean-Emmanuel Denave


Le Musée des Confluences, dit Musée des sciences et des sociétés, lance un nouvel événement bisannuel autour de la diversité culturelle. «Passages met à l'honneur les moments de rencontres culturelles qui surgissent, au-delà des frontières, à la croisée des sociétés humaines contemporaines», écrit Michel Côté, directeur du musée. Cette première édition est consacrée aux créations africaines contemporaines, et, concrètement, essentiellement à la photographie à travers une petite dizaine d'expositions dispersées dans plusieurs lieux atypiques de la ville. Cœur de la manifestation, la Fondation Bullukian reçoit en résidence six jeunes photographes primés aux dernières Rencontres de la photographie de Bamako (événement-phare en Afrique pour cette discipline artistique). Pendant une dizaine de jours, ils réaliseront une sorte de photo-journal et jetteront leur regard personnel sur Lyon, ses habitants ou tout autre sujet de leur choix. Les images seront accrochées au fur et à mesure du workshop, et, en attendant, on peut déjà découvrir un petit échantillon de leurs travaux passés... Des portraits de la Sud-Africaine Zanélé Muholi, artiste militante cherchant à donner une visibilité à la vie intime de couples homosexuels et aux travestis. Des images aux couleurs éclatantes du Congolais Baudouin Mouanda qui a chroniqué le phénomène des «sapeurs», sorte de compétition vestimentaire improbable dans la rue. Des compositions plus plastiques de Nestor Ba, vivant au Burkina Faso, qui mêle l'image à la peinture...Portraitistes
Du côté des «seniors», Passages reçoit un invité de marque : Malick Sidibé, surnommé «l'œil de Bamako», né au Mali en 1936. Découvert tardivement, l'artiste glane maintenant les prix les plus prestigieux (Lion d'or à la Biennale de Venise 2007 notamment) et expose partout dans le monde. À Lyon, on pourra voir ses portraits noir et blanc à la Fnac Bellecour et à la galerie Verney-Carron. Comme il le dit lui-même, «la photographie, c'est la gaieté», et Sidibé capte en effet comme nul autre la joie de vivre, la beauté des corps et la fierté des individus. Ces derniers posent seuls, en couple, en famille ou en groupe d'amis dans son studio. Les boxeurs en position de combat, les frimeurs avec leurs fringues à la mode et leurs lunettes noires, les parvenus avec leur moto, les amoureux avec leurs sourires en cœur... Sidibé a aussi chroniqué les surprises parties de la jeunesse malienne au début des années 1960, période où l'allégresse de l'indépendance se mêlait à la découverte du twist et de la mode «yéyé»... Exposé quant à lui pour la première fois en Europe, le Sénégalais Oumar Ly (né en 1943) a photographié ses concitoyens de la région autour de Podor. Analphabète, travaillant souvent pour l'état civil, Oumar Ly saisit avec une simplicité souvent désarmante et émouvante ses sujets. Une cinquantaine d'images ont été sélectionnées parmi une mémoire visuelle de quelque quatre mille clichés !Vers le politique
Passages expose aussi deux artistes européens travaillant en Afrique. Sur les grilles de l'Université Lyon 2 (quais du Rhône), l'Italien Nicola Lo Calzo a accroché une vingtaine de portraits issus de sa série «Inside Niger». La plupart montrent des individus dans leur tenue et leur contexte de travail, avec humour parfois, avec force souvent. Prêtres, jardiniers, tanneurs, bouchers ou autres nous regardent, autant que l'inverse, avec beaucoup d'intensité... À deux pas de là, le Belge Thomas Chable (aux côtés du Togolais Degbava) expose ses «Odeurs d'Afrique» à l'Hôpital Saint-Luc Saint Joseph. Des images où le globe-trotteur capte à travers un détail, un geste ou un morceau d'espace des sensations, des atmosphères, la langueur du temps... Sur la terrasse de l'hôpital, il présente une série plus récente consacrée aux «Brûleurs», ces gens qui quittent tout et brûlent souvent leurs papiers d'identité pour tenter de gagner l'Europe. Chable témoigne de leur long et dangereux périple du Niger à l'Espagne ou la Belgique, en passant par la traversée du Sahara, le Maroc... Dans le passé, c'étaient au contraire les Belges qui se rendaient en Afrique. Le Congolais Sammy Baloji (né en 1978) ne l'a pas oublié, et a même fait de l'histoire et de la mémoire l'un des enjeux essentiels de son travail. Au Bleu du ciel, il expose sa série «Mémoire» faite de deux types d'images superposées : celles en noir et blanc de colons exploitant durement les ouvriers d'une mine, celles en couleurs du même lieu tombant aujourd'hui quasiment en ruine à cause de la crise industrielle. Soit deux formes de violence politique et économique. «Passages, Afriques et créations», jusqu'au samedi 24 juillet.


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