Le théâtre fantasmatique de Pat Andrea

La galerie Pallade expose des œuvres récentes de Pat Andrea. Un grand artiste qui bouscule les lois de la morale et de la logique, en toute indécence et liberté. Jean-Emmanuel Denave


Ô quel univers délicieusement pervers ! Féminin en diable, toutes vulves exhibées, et corps recomposés, membres et physionomies redistribués à l'envi... Ô quel univers construit avec aplomb aussi, et un sens de la mise en scène et du dessin d'une puissance immédiatement fascinante ! Dans ses espaces à la fois charpentés et dramatisés, Pat Andrea distribue ses personnages imaginaires «en proie à de petites catastrophes», comme il le dit dans un entretien avec Jacques Henric. S'intéressant et cherchant à rendre sur la toile ou sur le papier «le moment où une situation change, se renverse, l'instant où quelque chose bascule et provoque un nouvel état des choses et des êtres». Sur fond d'onirisme, de surréalisme et de références mythologiques, des livres piégés explosent aux mains de fillettes, des jeux de construction s'écroulent de tables surdimensionnées, une étrange partie de colin-maillard se déroule dans une sorte de théâtre aux décors de couleurs vives... Autant de chocs visuels, de saynètes glissant vers un érotisme sulfureux, ou vers la violence des rapports de domination.

Sous l'œil d'Alice

D'origine néerlandaise (né en 1942), marqué par Jérôme Bosch, Goya ou Van Eyck, Pat Andréa est un artiste aujourd'hui reconnu un peu partout dans le monde. Il vit entre Paris (où il enseigne à l'École des Beaux-Arts), La Haye et l'Argentine, pays découvert en 1976 en pleine prise de pouvoir par la junte militaire. C'est aussi à la fin des années 1970 qu'il commence à exposer en France, par l'entremise du critique d'art Jean Clair, sous l'étiquette du courant de la «Nouvelle Subjectivité» (aux côtés de Jim Dine, David Hockney...). Et subjectivité, en effet, il y a, chez cet artiste qui n'hésite pas à supprimer les bras et le torse de ses nombreuses figures féminines, aux têtes directement reliées à leurs fesses. Ou à revisiter la catastrophe imminente de Pompéi sous forme d'orgie sexuelle et de «paella-party» ! «J'ai gardé le souvenir vivace d'une femme qui m'a séduit en dansant devant moi sans culotte. Sa jupe qui tournait, volait, c'était magnifique !». Oui magnifique, et potentiellement riche en imagerie érotique. Son exploration des pulsions et des fantasmes sexuels est d'ailleurs assez proche de celle du peintre Balthus. Elle se double aussi des paradoxes d'Alice et de Lewis Carroll (dont l'artiste a illustré l'œuvre) : grandeur et petitesse, proche et lointain, passé et présent sortent ici des gonds de la logique. Ici, tout bascule et culbute.

Pat Andrea
À la galerie Anne-Marie et Roland Pallade jusqu'au samedi 9 octobre.


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