Cretey, le musée mène l'enquête

Le Musée des Beaux-Arts sort des oubliettes du XVIIe siècle le peintre Louis Cretey. Et propose à travers une soixantaine de tableaux de découvrir son œuvre singulière et détonante pour l'époque. Jean-Emmanuel Denave


Longtemps, le XVIIe siècle n'a eu aucune existence dans l'histoire de la peinture française ! Le Lorrain et Poussin étaient considérés comme des artistes italiens, ayant vécu et travaillé surtout à Rome. Puis, peu à peu, à partir du Second Empire, on découvre les trois frères Le Nain, Champaigne, Jacques Stella, Georges de La Tour... Une période picturale cohérente se dessine que Pierre Rosenberg (co-commissaire de l'exposition Cretey avec Aude Henry-Gobet) esquisse ainsi : «Des couleurs claires, une peinture léchée aux traits fondus, des sujets lisibles, des constructions stables, maîtrisées et intériorisées (pas de mouvement, une impression de silence)...». Et l'ancien directeur du Louvre d'ajouter aussitôt : «Et là, patatras, arrive Cretey avec ses toiles sombres, ses touches apparentes, ses couleurs violentes et crépusculaires, ses visages durs et ses orbites creusées...». Depuis peu, on redécouvre ce peintre lyonnais qui vient immédiatement chambouler quelques certitudes sur le XVIIe siècle.Frissons
L'exposition qui lui est consacrée à Lyon à travers une soixantaine d'œuvres est qualifiée par les deux commissaires de véritable «enquête» qui n'en est encore qu'à ses débuts. La «détective» Aude Henry-Gobet a fouillé les archives paroissiales, épluché les comptes en banque du peintre, parcouru une maigre correspondance... Et malgré ce travail de fourmi, de nombreuses zones d'ombre demeurent : le prénom du peintre est incertain, sa naissance à Lyon se situe entre 1630 et 1637, la dernière trace laissée par Cretey à Rome date de 1702 sans que l'on sache exactement quand il est décédé... Le musée a même placé une boîte à côté d'une toile de Cretey au sujet toujours énigmatique, afin que le public puisse proposer des hypothèses. Toile sombre comme souvent chez Cretey où une sorte d'énorme fœtus est agrippé au sein d'une femme nue et allongée...! Et, Louis Cretey surprend pour le moins dans ses représentations religieuses ou mythologiques, voire dans ses paysages (genre considéré comme secondaire à l'époque). Des regards fous, des personnages chauves à frissonner d'angoisse, des anges pas toujours très catholiques, des corps contorsionnés et tourmentés... Devant une «Vision de Saint-Jérôme», Pierre Rosenberg s'aventure à parler «d'expressionnisme dur, volontairement dérangeant, cherchant une beauté dans la laideur... On dirait presque du Francis Bacon». Cretey compose aussi des toiles plus sereines mais étonne toujours par ses «flashs» de lumière, ses ciels, ses fonds abstraits, ses drapés. Décidément insaisissable et passionnant.Louis Cretey, un visionnaire entre Lyon et Rome
Au Musée des Beaux-Arts, jusqu'au lundi 24 janvier
Catalogue Editions d'ar Somogy.


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