D'errance et de lointain


Jazz / «Vous devez avoir un ailleurs où aller», disait Sonny Rollins. Et Alain Gerber d'ajouter dans ses Balades en jazz : «La vitalité des jazzmen est extrême, il ne lui manque qu'une destination, un ailleurs insoupçonné. Une Amérique des commencements d'un Nouveau Monde – cimetières de téléphones portables sur catacombes d'ordinateurs… Une Afrique des lendemains des sacrifices…». Le nouvel album d'Erik Truffaz semble être placé sous le signe de cet ailleurs, de cet In Between des commencements et des lendemains. La pochette striée par des départs d'avions, par des fils de funambules entre ciel et béton nous dit beaucoup de ce monde d'où émerge la voix sourde et profonde d'une trompette nostalgique, presque voilée. Le clavier de Benoît Corboz, aux notes d'acier bleutées, dresse un décor de périphéries industrielles que l'on retrouve notamment sur le morceau «Mecanic Cosmetic». La batterie, quant à elle, insuffle le rythme d'un immédiat saccadé, à moins qu'au diapason du cuivre errant elle ne ralentisse son pas, soudain plus grave, plus contemplative. Il y a de la solitude dans cet album, quelque chose d'un instant suspendu. La ligne mélodique s'étire et porte son écho vers un horizon de poussière lente, soulevée par le périple évoqué des «Gens du voyage». Le lointain est secret, «Dead Sea», «Lost in Bogota», imaginaire aussi, et du plus beau, en témoigne ce splendide «Balbec», référence toute proustienne à un village de souvenir. In Between ? Un album où l'ailleurs du jazzman serait peut-être une recherche : celle du temps perdu. Mélanie Vivenza


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