Agoriaphilie


Inspirant au passage la philosophie bouddhiste avec son concept d'impermanence (cf : Le Bouddhisme pour les Nuls), Héraclite disait : «On ne peut jamais descendre deux fois dans la même rivière, car de nouvelles eaux s'écoulent toujours sous vous». Manière de dire que choses et êtres changent en permanence, au gré d'atomes plus ou moins crochus. Cela vaut bien sûr pour les artistes, les musiciens, et même, si ça se trouve, les mîmes. Certes, il est pourtant des artistes dont l'immobilisme forcené nous incite parfois à remettre en doute la vieille loi d'impermanence. Il y a ceux, aussi, qui envoient tout valser (comme le chantait si bien Zazie ou François Feldman, à force on ne sait plus) et qu'on ne reconnaît pas d'un jour sur l'autre. Et puis il y a Agoria, dont le nom aurait presque quelque chose de philosophique côté grec, et dont l'Impermanence musicale semble être, comme l'indique le titre de son dernier album, le moteur. Non, forcément que le Dj globe-trotter chercherait par la démonstration d'une hypercréativité tous azimuts à s'acheter une crédibilité de musicien (le fameux «complexe du Dj», généralement circonscrit aux mauvais Dj's). En réalité, ici, Agoria reste le même tout en étant un autre. Le même : ce qu'il a été, ce qui l'a façonné («dance-floor baby, yeah that's right», souffle le totémique Carl Craig sur "Speechless", preuve que si la pomme a fait du chemin elle ne s'est pas tant éloignée de l'arbre), ce qui le hante (l'univers cinématographique). Un autre, car il y a donc sur "Impermanence" des titres, ceux avec Kid A notamment, qui ne sont à première vue rien d'autre que des pierres dans le jardin techno tel qu'on l'imagine. Mais des pierres d'une telle préciosité, d'un tel éclat, qu'elles marquent sans doute, à la manière d'un Petit Poucet de luxe, les voies de splendides routes musicales. D'autant qu'Agoria sait les paver de son sens toujours plus aiguisé de la texture sonore. Au final, "Impermanence" est sans doute parfaitement taillé pour satisfaire tous les publics ou plutôt toutes les exigences. Sauf peut-être celles de son auteur, déjà tourné vers d'autres horizons. SD«Impermanence» (InFiné)


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InFiné : label épique