L'éclair me dure

Pour sa dernière création à la tête du CCN de Rillieux-la-Pape, Maguy Marin a frappé un grand coup avec "Salves". Une œuvre brisée pour un monde qui ne l'est pas moins, avec un fond d'espérances... Jean-Emmanuel Denave


Depuis Umwelt et, surtout, Turba en 2007, Maguy Marin compose des «tableaux», des «images» (visuelles, tactiles, kinésthésiques, auditives...) proches du théâtre de François Tanguy. «Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images», disait Cocteau, et, si la chorégraphe se veut ostensiblement un miroir de notre société en crise et en grande difficulté, ses images s'avèrent particulièrement réfléchies : réfléchies dans leur précision scénique époustouflante, réfléchies quant aux enjeux et aux questions politiques et existentiels qu'elles soulèvent.

Salves, sa dernière création présentée lors de la Biennale de la Danse 2010, est une suite d'images jusqu'au boutiste, une suite de flashs arrachés à l'obscurité, une pellicule cinématographique criblée, brûlée. «Une pièce de lueurs, d'échos, de flammes brèves, qui surgissent et disparaissent, qui se transmettent à travers des gestes que l'on dirait clandestins, comme si toujours quelque chose pouvait renaître de l'obscurité, révélant une perception du réel, parfois drôle jusqu'à l'absurde ou au grotesque», écrit Maguy Marin. La situation est tellement grave qu'il lui a fallu en effet entrer dans la clandestinité et sonder les abysses, noirs, de la catastrophe. La tension est à son comble. L'écriture scénique relève du fragment, de la survivance, de la lumière d'une flamme qu'on tente vaille que vaille de maintenir allumée. Cela s'appelle aussi l'espoir.

Jusqu'au cou

Sur une scène nue, sept danseurs, un par un, font leur apparition en étirant une sorte de fil imaginaire ou de pellicule filmique : tisser, réparer, monter, sauver ce qui peut encore l'être... telles seront quelques-unes des thématiques de la pièce. Les fantômes des voix de dictateurs heurtées aux dialogues de Fellini fusent de vieux magnétophones à bandes, ainsi que des bruits de moteurs ou de vacarme urbain (une bande-son saisissante signée Denis Mariotte).

Dans l'obscurité tailladée par instants brefs de lumière, une communauté s'ébauche, se brise, se rafistole ailleurs, toujours incertaine et menacée... On fuit, on met la table, une assiette se brise et il faut tout recommencer. On accroche un tableau (La Liberté de Delacroix, Guernica de Picasso...), mais la toile symbole ne tient pas ; les images, l'art s'effondrent. On fait des passe à dix dans l'urgence et la panique, on recolle les morceaux d'un vase dans un coin de scène, on passe à tout allure et en hurlant (Salves est aussi une pièce des passages), on s'écroule, on s'entretue ou on s'entraide... Une danseuse écrit à la craie sur un tableau : «Quand on est dans la merde jusqu'au cou, il ne reste plus qu'à chanter». À chanter, à danser, à bouger ensemble. À résister donc.


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