À l'ère numérique

Sur Numéridanse, les corps sont numériques mais bougent encore. Le site web lancé par la Maison de la danse et le Centre national de la danse a tout pour enthousiasmer les amateurs : une plateforme de vidéos de danse riche, intelligente, et promise à un bel avenir. Jean-Emmanuel Denave


Nous avions raté en salle «Si je meurs, laissez le balcon ouvert», émouvant rituel dansé, étiré sur une durée de trois heures et signé Raimund Hoghe. «Arte live web» (site où Arte laisse en ligne temporairement des vidéos de spectacles et de concerts) propose une version filmée par Charles Picq de ce petit chef-d'œuvre. Certes les corps y deviennent un peu lointains et abstraits, mais les plans rapprochés sur les visages, sur les gestes infimes des mains, la tension des doigts, les arabesques lentes des bras, apportent quelque chose d'invisible ou de peu visible dans une salle de spectacle. Qualités et défauts du spectacle filmé. On pourra débattre longtemps du pour et du contre, mais force est de constater que la vidéo est un formidable outil de mémoire, de travail, ou de «rattrapage» pour le spectacle vivant. Et pour la danse en particulier, tant cet art est éphémère et, sauf à de rares exceptions près, dénué de notations codifiées, de «partitions» (pour le théâtre, c'est un peu différent puisqu'à minima on dispose d'un texte et de didascalies). Le chorégraphe Jean-Claude Gallotta fut l'un des premiers en France à garder systématiquement des traces vidéos de ses spectacles. Ses «Vidéos danses» furent d'ailleurs fortement critiquées à l'époque par le milieu du spectacle. Le chorégraphe explique ce choix dans une interview : «Je n'ai pas d'écriture de danse, ma seule écriture c'est l'image, l'œil... L'image est mon support de travail et je me souviens aussi que le cinéma (les comédies musicales) fut mon premier «chorégraphe». Les vidéos conservent la mémoire des pièces. Les films des autres peuvent inspirer ma création et mes propres films m'aident à reprendre des pièces anciennes».Vidéothèque en ligne et en devenir
Gallotta est l'un des chorégraphes les plus représentés sur le site internet récemment ouvert, Numéridanse. Un projet de vidéos en ligne lancé en 2008 par la Maison de la danse et le Centre National de la danse (financé avec des fonds publics et la participation privée et importante de la Fondation BNP Paribas), sur une idée du réalisateur Charles Picq. Ses racines sont plus anciennes encore, puisque depuis sa fondation en 1980, la Maison de la Danse a développé l'idée d'une mémoire vidéo des spectacles de danse. Aujourd'hui, sa vidéothèque (librement consultable sur place) rassemble quelque mille heures de films (un trésor en cours de numérisation aujourd'hui) ! Vidéothèque internationale de danse en ligne, Numéridanse peut se définir, selon Charles Picq, comme «la construction et l'organisation d'une mémoire de la danse pensée pour internet et qui permet à divers publics d'avoir accès à des fonds audiovisuels de danse». Le site en devenir rassemble aujourd'hui déjà quelque deux cents références : des extraits choisis de spectacles et une vingtaine d'œuvres complètes. En plus des captations de pièces chorégraphiques, on pourra y trouver des documentaires, des interviews de chorégraphes, des films de danse. Chaque occurrence est accompagné de textes : biographies, extraits de presse, résumé d'œuvres...Encore un bébé
«C'est encore un bébé, un démarrage», souligne Charles Picq. «Mon rêve pour les cinq ans à venir est d'être rejoint par les plus grands chorégraphes internationaux et d'avoir aussi la possibilité de diffuser des «directs» sur le site». Car, en effet, si dores et déjà Numéridanse s'avère un formidable outil de (re)découverte pour l'amateur, on constate aussi quelques béances : rien encore sur Pina Bausch, Merce Cunnigham ou Maurice Béjart, ni sur la nouvelle vague française des Alain Buffart, Boris Charmatz ou Jérôme Bel (celui-ci a, ceci dit, développé depuis longtemps son propre site : le passionnant «catalogue raisonné Jérôme Bel»)... Les négociations de droits d'auteurs, les collaborations, les partenariats institutionnels sont en cours et devraient se multiplier. «La philosophie de Numeridanse est celle d'un milieu qui se réunit autour d'un outil conçu de telle façon qu'il puisse s'y reconnaître et qu'il ait envie d'appartenir à cet ensemble. Il est évident que nous ne gagnerons la partie que si le monde de la danse trouve son intérêt et rejoint ce type de projet». Le grand public, lui, devrait trouver le sien dès maintenant.


<< article précédent
Maison de poupée