Rio sex comedy

Brassant joyeusement documentaire et fiction, Jonathan Nossiter offre un portrait de Rio vu par une bande d'étrangers, pour un film choral euphorique et contagieux. Christophe Chabert


Rio, aujourd'hui. Une gloire de la chirurgie esthétique anglaise prodigue ses conseils à de jeunes médecins, et révèle une méthode peu orthodoxe visant à décourager les patients de pratiquer des opérations. Une réalisatrice française interviewe des employées de maison pour connaître leur rapport à leurs maîtres, et se rapproche de son beau-frère caméraman fantasque et libéré. Le nouvel ambassadeur américain de la ville pète les plombs, fuit ses responsabilités et se terre dans une favela où il sympathise avec un tour operator déglingué. Le titre du nouveau film de Jonathan Nossiter, qui marque son retour à la fiction après l'excellent "Signs and wonders", est conforme au programme sur l'écran : il y a Rio, dont il filme tous les habitants, tous les quartiers ; il y a du sexe, notamment de troublantes séquences entre Irène Jacob et Jérôme Kircher, en couple dans la vie civile ; et c'est une comédie loufoque effectivement très drôle, surtout les scènes avec Bill Pullman, dont un moment extraordinaire où, avec perruque et fausse barbiche, il expose au PowerPoint un projet d'échange chiens contre enfants dans les favelas pour tirer les larmes aux occidentaux !.

I ♥ Rio

On sent le cinéaste grisé par l'euphorie de la ville, comme on le sentait perdu dans l'inquiétante étrangeté d'Athènes avec "Signs and wonders". Nossiter va plus loin en incorporant à sa fiction de larges parts documentaires : chaque personnage est à sa manière confronté à une question centrale de la société brésilienne et les autochtones qu'il rencontre viennent parler de leur propre cas. La dextérité avec laquelle Nossiter fait interagir le réel avec son scénario est bluffante : non seulement parce que les acteurs se prêtent au jeu, mais aussi parce que le film ne cherche jamais à les faire descendre de leur statut d'étrangers largués face à la complexité sociale brésilienne. Porté par cet intelligent effet de réel, "Rio sex comedy" se sert des clichés sur le Brésil non pour les renverser, mais pour les annuler en les confrontant aux propres idées reçues sur l'Occident (les Français sont infidèles, les Américains font de l'ingérence, les Anglais sauvent les apparences). Dialogue de sourds qui, ce n'est pas pour rien, ne débouche que sur des impasses narratives et conduit le film à ne plus vouloir finir. La cohérence de ce joyeux bordel est à chercher, paradoxalement, dans sa forme débraillée, où virtuosité et rigueur cohabitent en permanence avec des instants improvisés et volés caméra à la main. Cet OVNI pop réjouissant rappelle ainsi, par sa santé et sa liberté de ton, le swing des sixties anglaises et du… tropicalisme brésilien !


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Agnès Propeck, photographies