Never let me go

Adaptation pertinente d'un roman de Kazuo Ishiguro par Alex Garland au scénario et Mark Romanek à la mise en scène, cette fable glaçante et complexe sur l'aliénation à la norme invente une science-fiction au passé qui, malgré ses tics, frappe par son originalité. Christophe Chabert


Never let me go commence comme un énième film de pensionnat rigoriste à l'anglaise. Écoliers en uniforme, maîtresses rigides, règles strictes : tout y est, et la caméra de Mark Romanek ne semble pas s'apercevoir des clichés qu'elle enregistre. Cependant, quelques détails viennent gripper cet ensemble a priori académique : les enfants ne peuvent pas sortir de l'institution, même pour chercher un ballon tombé derrière une barrière ; ils portent un bracelet électronique qu'ils doivent impérativement présenter à chaque sortie de cours ; enfin, quand la narratrice (Kathy H., interprétée par l'excellente Carey Muligan), ramasse un gnon du camarade dont elle est secrètement amoureuse (Andrew Garfield, bien revenu de Social network), une armée de blouses blanches l'ausculte comme si elle risquait d'en périr. Il faudra vingt minutes pour commencer à entrevoir le terrible secret de ces enfants extraordinaires, et saisir ce que le film nous raconte vraiment : une fable qui extrapolerait au passé une révolution scientifique permettant d'allonger la durée de vie des êtres humains.

Cobayes consommables

Dans le roman de Kazuo Ishiguro, tout était explicité parfois lourdement, mais quelque chose frappait déjà : la résignation des enfants face à leur disparition programmée, leur absence de révolte entretenue par les mensonges subtils distillés durant leurs années d'apprentissage. La qualité de l'adaptation d'Alex Garland, lui aussi romancier de La Plage et ancien complice de Danny Boyle, est de distiller les informations au compte-goutte, créant de la science-fiction avec un minimum de moyens. Surtout, Garland a renforcé ce qui n'était qu'une piste du roman, et qui est le grand thème de son œuvre : le sacrifice de l'individu au profit d'un collectif abstrait et normatif. La complexité de Never let me go", qui le conduit vers des abîmes de pessimisme, tient à cette réflexion glaçante et absolument d'actualité : la société peut-elle créer des êtres consommables et faire comme s'ils n'avaient pas de libre-arbitre ? Certes, Romanek n'évite pas l'écueil qui guette le cinéma indépendant anglo-saxon (un excès de sérieux, qui se traduit par une musique mélodramatique et des acteurs qu'on pousse à jouer la larme à l'œil). Mais le film ne s'évacue pas facilement : il ne ressemble à aucun autre et la noirceur sans compromis de son sujet en fait une douche froide versée sur la conscience endormie du spectateur.


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A fond les manettes - Février 2011