Le geek face à lui-même

Le plaisant "Paul", sorti la semaine dernière, marque une nouvelle étape dans la mutation de la figure geek, entamée avec "The Social Network" de David Fincher. CC


"The Social Network", "Scott Pilgrim", "The Green Hornet" et maintenant "Paul" : voilà quatre films qui auront permis au geek de ne plus être qu'une cible pour les costards-cravates du marketing mais aussi un enjeu complexe de cinéma. Il ne s'agit plus de leur tirer le portrait comme dans les films produits par Judd Apatow, mais de les confronter à l'écran à leurs fantasmes soudain devenus réalité. Chaque film se focalise sur un des piliers de la culture geek plutôt que de la saisir dans sa globalité : l'informatique ("The Social Network"), les jeux vidéos ("Scott Pilgrim"), les super-héros ("The Green Hornet") et la science-fiction ("Paul"). Mais la stratégie est similaire : Fincher en donne le mode d'emploi dans la séquence extraordinaire où Zuckerberg invente le site Facemash dans sa piaule d'Harvard. En parallèle, on assiste à une soirée privée où deux étudiantes dénudées grimpent sur une table devant le regard lubrique et aviné de leurs camarades. Zuckerberg, en virtualisant ce clash féminin, le rend public et, du même coup, entre là où il n'avait jamais eu le droit de rentrer. Le rêve du geek devient réalité si c'est lui qui le recrée avec ses propres armes.

"Paul" : le Théorème du geek

"Scott Pilgrim" flippe parce que la fille dont il est tombé amoureux a eu avant lui une vie sexuelle pour le moins débridée ? Il va donc éliminer ses ex par le seul talent qu'il se connaît : celui d'un gamer virtuose. Brit Reid est un glandeur qui s'ennuie dans sa vie de fêtard friqué ? Il s'imagine une vie encore plus cool de super-héros sans cause et sans idéal, sinon celui de vivre les aventures que son père lui a interdit de lire quand il était gamin. Dans "The Green Hornet", sous la pulsion de Seth Rogen, on trouve pour la première fois une autocritique de la culture geek, notamment son rapport problématique à la sexualité. "Paul", écrit par Simon Pegg et Nick Frost ("Shaun of the dead", "Hot Fuzz") et réalisé par Gregg Motola ("Supergrave" et surtout l'excellent "Adventureland"), va encore plus loin. Les deux personnages (joués par les auteurs), fans de SF anglais en visite au comic-con de San Francisco, se retrouvent avec un vrai alien sur les bras. L'alien est lui-même un geek ; mais surtout, il s'avèrera être LA source de la culture que ses deux comparses adulent. Leur réaction contradictoire est bien vue : complicité immédiate pour l'un, déception pour l'autre, qui préfèrerait que tout cela reste de la fiction. Un écart qui se retrouvera aussi dans la révélation de leur sexualité : l'un s'avèrera hétéro, l'autre manifestement gay. "Paul", sur le ton de la comédie référentielle, s'aventure sur un terrain inattendu : et si, une fois projetés dans un monde conforme à leurs désirs, les geeks ne pouvaient plus fuir face à la réalité de ces mêmes désirs ?


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