À fleur de peau

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On allait voir un chorégraphe. On a rencontré un quasi physicien ou biochimiste qui parle de son travail en termes matérialistes. Avec des atomes qui s'entrechoquent et se métamorphosent, des corps qui se rencontrent, se dénudent de leur apparat social, s'épuisent, oscillent sans cesse dans un état de déséquilibre, trouvant parfois, ici et là, un peu hébétés, une voie, une posture, un espace accueillant ou repoussant, une nouvelle configuration organique précaire et ouverte à l'autre... Yuval Pick ne goûte guère aux joies de l'esthétisme ou de la belle forme, et l'on s'étonne alors un peu de ses débuts, à onze ans, dans un groupe de danse folklorique, puis de sa passion d'adolescent pour la disco, les fêtes de mariage et John Travolta ! Et aussi de sa carrière brillante d'interprète formé à la Bat-Dor Dance Scool de Tel-Aviv, de son intégration à vingt ans dans la prestigieuse compagnie Batsheva d'Ohad Naharin... Entre deux gorgées de soda sans sucre, Yuval Pick confie que cette apparente carrière «classique» et uniforme n'est pas allée sans rebuffades, tiraillements, pas de côté : «Pour moi la danse est une succession de mouvements et d'états du corps, de rapports entre eux et à l'espace, qui échappent au formatage et aux techniques établies. Jusqu'à l'âge de 21 ans d'ailleurs, j'ai eu quelques problèmes dans les écoles, avec la peur d'être enfermé dans des schémas, des cases, des codes...»Déchirer
Le danseur n'aime pas trop non plus les cases géographiques et, bien qu'attaché à son pays (sa dernière pièce, "Score", est d'ailleurs un écho aux tensions et à l'énergie propres à Israël), il part ensuite à Helsinki travailler avec son complice, le chorégraphe finlandais Tero Saarinen, gagne un concours prestigieux à Paris, rejoint en 1999 le Ballet de l'Opéra de Lyon... Lyon où il décide de poser ses valises et, deux ans plus tard, de créer sa propre compagnie, The Guests. Celle-ci a aujourd'hui une dizaine de pièces à son répertoire, pièces viscérales qui souvent «partent du travail de l'interprète, de son langage corporel, d'une sorte de point zéro et d'essence brut du corps». Il y est question d'asymétries, de brisures, d'urgence, de plongée organique, d'instincts, du manque ou de déchirure comme moteurs de création. Yuval Pick confie son admiration pour John Cassavetes et son cinéma brut et physique, ses montages en mosaïques brisées et fragmentaires. Il parle aussi beaucoup de musique en général et de celle de Sonic Youth en particulier, avec «leurs compositions en couches et strates multiples et, derrière, une mélodie, comme une rose qui éclot». Le rock comme pulsions de vie asymétriques, jusqu'à saturation, épuisement, éclosion nouvelle.Tisser
Cette énergie brute et communicative a sans doute convaincu le jury pour la succession de Maguy Marin à la tête du CCN de Rillieux-la-Pape. Une énergie et une idée d'un corps comme substrat d'échanges possibles traversant les langues et les cultures, les clivages sociaux, les séparations habituelles entre artistes et public, entre créateurs et interprètes... Ce sont ces fondamentaux qui composent l'ossature du projet de Yuval Pick pour répondre aux différentes missions du CCN de Rillieux : médiation culturelle, formation, accompagnement et accueil d'autres compagnies et également la création et la diffusion à partir du socle d'une compagnie maintenant permanente réunissant cinq danseurs. Le chorégraphe insiste sur la valorisation de l'interprète, annonce la diffusion d'une petite pièce autour de Bach dans des lieux hors des grandes métropoles, un projet participatif avec les habitants de Rillieux à partir des bruits et des sonorités de la ville, un autre intitulé «diamant brut» où des chorégraphes, des metteurs en scène, des musiciens seront invités à exprimer leurs caprices et leurs idées les plus folles à travers de petites formes. Sa compagnie, elle, reprendra quelques-unes de ses pièces et travaillera à une nouvelle création pour la Biennale de la danse 2012. «Éveilleur d'émotions et de sensations», Yuval Pick a, on le sent, déjà des fourmis dans les jambes pour donner en partage ce «truc» qu'il aime et qui s'appelle la danse.Yuval Pick
1970 : naissance en Israël. Formation à partir de 16 ans à la Bat-Dor Dance school à Tel Aviv
1991 : intègre la Batsheva Dance Compagny dirigée par Ohad Naharin
1996 : entame une collaboration de longue durée avec Tero Saarinen, et remporte le Grand prix de la Ville de Paris
1999 : intègre le Ballet de l'Opéra de Lyon pour deux saisons
2001 : collaboration avec Russell Maliphant et création en octobre de sa propre compagnie, The Guests (une dizaine de pièces à son répertoire aujourd'hui)
1er août 2011 : succèdera à Maguy Marin à la tête du CCN de Rillieux-la-Pape

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