La Chair à vif


Critique / Silence. La scène d'ouverture de "Dämonen" est silencieuse, le temps pour le spectateur de prendre ses marques dans l'appartement bourgeois meublé d'objets design de Katarina et Frank (ah le fauteuil en cheveux blonds sur lequel personne n'ose  s'asseoir !). Un vélo d'intérieur (objet allemand par excellence) est niché dans le hall en verre ; Katarina assise dans son canapé allume son Mac et lance sur ses murs la projection d'un extrait du "Mépris" de Godard. Puis, s'en va prendre sa douche de l'autre côté d'un décor qui ne cesse de pivoter tout au long des 2h30 de ce spectacle ; une utilisation de la vidéo et du plateau qui ne laissent aucune zone de repli aux personnages. Unité de lieu, de temps et d'action : tout se passe dans cet espace durant une soirée. Frank,  compagnon de Katarina, rentre chez lui. Il a sous le bras les cendres de sa mère dans une urne. Mais ce n'est pas ce décès qui déglingue sa vie, c'est son couple. Ce dérèglement va d'autant plus apparaître au grand jour que ce soir-là, Katarina et Frank se retrouvent avec leurs voisins du dessous, un couple marié depuis sept ans qui ne vit qu'au rythme des enfants. Leurs conversations sont tout d'abord insipides. L'auteur suédois Lars Norén ausculte ses personnages avec une langue sèche, mais laisse vite entrevoir toutes leurs frustrations et rancœurs. Plus il se dit des banalités, plus le malaise surgit et plus Ostermeier donne d'intensité à sa mise en scène. En incrustant en gros plan, sur les parois de l'appartement,  ses personnages filmés en permanence, le metteur en scène allemand traque leurs âmes, va au plus profond de leur chair et les rend aussi transparents que son splendide décor, signé par sa fidèle scénographe, Nina Wetzel. La guerre mentale que se livrent les couples paraît d'autant plus violente que le loft est cossu. «Je t'aime, mais ne te supporte pas», est leur leitmotiv. Ils éructent, leurs gestes, souvent sensuels et sexuels, sont dépourvus de plaisir. «Quand je me sens bien, je me sens un peu mal» dit Katarina qui ne cesse «de fuir en arrière» cette situation. Avec des comédiens époustouflants de véracité, Ostermeier signe une nouvelle fois un spectacle d'un réalisme sidérant. NP


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Musiques du temps présent