«Les arts de l'Islam à la fois très proches et très lointains»

Entretien / Rémi Labrusse, professeur d'histoire de l'art à Paris X et co-commissaire de l'exposition "Le Génie de l'Orient". Propos recueillis par JED


Petit Bulletin : Comment définir les arts de l'Islam ?
Rémi Labrusse : La réponse est quasi infinie et les spécialistes se déchirent sur la question. C'est une notion qui est de plus en plus remise en cause et l'on périodise par grandes dynasties, c'est-à-dire par grandes aires culturelles. Néanmoins, les arts de l'Islam sont définis comme ceux des sociétés où domine la culture islamique, de l'Hégire (en 622) au XIXe siècle. La catégorie a été inventée par les Européens sur des fondements formels et non pas sur des critères religieux, ethnologiques ou sociaux. Y a-t-il une unité formelle ?
Oui, il existe parmi une grande diversité d'œuvres une certaine unité formelle que l'on pourrait grossièrement résumer aux critères suivants qui se retrouvent du Maroc jusqu'à l'Inde : la non figuration (avec de nombreuses exceptions comme on peut le voir dans la partie de l'exposition consacrée aux miniatures), l'importance de la calligraphie, la planéité (qui s'opposerait à la perspective par exemple) et le décor tapissant virtuellement infini (NdlR : un ensemble de motifs abstraits qui pourrait être répété indéfiniment sur une surface plus grande). Cette unité peut paraître surprenante, mais l'Europe a elle-même connu des genres artistiques dominants qui ont pu traverser les frontières et les époques comme le paysage par exemple.Quel est l'enjeu de l'exposition ?
L'intérêt du chercheur est de comprendre comment la culture occidentale s'est constituée en allant chercher des références hors de ses frontières. Les arts de l'Islam ont, dans ce cadre, une position très spéciale car ils sont à la fois très proches de nous géographiquement et très lointains artistiquement, avec des formes radicalement différentes et pourtant nées elles-aussi de l'antiquité gréco-romaine. C'est une exposition sur l'Europe et notre regard porté sur l'Islam, sur notre utilisation de ses motifs et de ses objets, et ceci à un moment de crise particulière où, entre la Révolution et le début du XXe siècle, naissent les sociétés industrielles et démocratiques.


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