Ouvrir le roman

Les 5e Assises Internationales du Roman réunissent à Lyon de nombreux écrivains, mais aussi des essayistes, des philosophes, des scientifiques et même... des scénaristes de séries TV. Pour interroger l'écriture et la pensée contemporaines, et les rapports réciproques entre fiction et réalité. Jean-Emmanuel Denave


«Roman et réalité», «Le roman : hors frontières», «Le roman : tout dire ?»... Telles étaient quelques-unes des thématiques des premières Assises Internationales du Roman. Si l'édition 2011 ne porte plus de titre générique, l'esprit de la manifestation demeure le même : interroger la capacité de la littérature à affecter et à être affectée par le réel, l'actualité, les grandes questions du monde contemporain. La table-ronde intitulée «La mondialisation : vertige du temps et de l'espace» est en cela assez emblématique. Elle réunira le physicien Étienne Klein auteur du passionnant Discours sur l'origine de l'univers, le philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa qui, à l'instar d'un Paul Virilio, étudie les conséquences sociales et politiques de la notion d'accélération et de vitesse, et l'écrivain française Maylis de Kerangal. Celle-ci a signé dernièrement un puissant roman-monde, "Naissance d'un pont", dans la veine de la grande littérature américaine. À travers un chantier de pont autoroutier devant relier une ville ultra-moderne à une rive plus sauvage et forestière, l'auteur embrasse les existences d'une foule de personnages, des luttes de pouvoir triviales, des conflits d'intérêt entre cultures et classes sociales, des débats philosophiques sur l'opposition entre nature et technique... Le tout dans une langue riche, poétique et sensuelle. Maylis de Kerangal dit d'ailleurs chercher une écriture qui «pourrait frayer avec le monde, en accompagner la course, incorporer tout autant la poésie que le documentaire – technique, sciences, histoire, économie – et les rêves aussi».Le roman et...
Ouvrir le roman au monde c'est aussi ouvrir la littérature aux sciences, à la philosophie, à d'autres types d'écriture et de pensée. L'éthologue Frans de Waal et la philosophe Elisabeth de Fontenay accompagneront l'écrivain Gonçalo M. Tavares pour parler de l'animalité présente en l'homme ; deux astronautes, Claudie et Jean-Pierre Haigneré, témoigneront de leur expérience de l'enfermement et de l'isolement aux côtés de l'auteur américain Percival Everett ; Alain Finkielkraut s'entretiendra avec un journaliste à propos des affinités électives de sa pensée avec la littérature... Plus original encore, une table-ronde sera cette année entièrement consacrée aux fameuses séries TV américaines ! Elle réunira les scénaristes de The Wire, En Analyse et Empire Falls et tentera de décrypter cette nouvelle forme d'écriture qui chamboule le champ audio-visuel et cinématographique. On sait les liens forts et réciproques entre littérature et cinéma (Dos Passos, Faulkner, Robbe-Grillet pour ne citer qu'eux), on est curieux de découvrir ceux entre série et roman. Philippe Djian, l'un des invités des Assises, a par exemple utilisé les codes et les ressorts des séries TV pour sa saga en six saisons, Doggy Bag. Assises, mode d'emploi
Concrètement, les Assises s'articulent essentiellement autour d'une dizaine de tables-rondes réunissant trois ou quatre auteurs. Chacun lit une courte contribution en lien avec la thématique proposée (de l'humour à la catastrophe en passant par la survie, la migration...), puis un débat s'ouvre avec un journaliste et avec le public. Parallèlement, les Assises proposent de grands entretiens individuels (comme celui très attendu avec l'écrivain israélien David Grossman), des «dialogues d'écrivains» (Florence Aubenas et Santiago Gamboa), des lectures par des comédiens (Denis Podalydès lira par exemple des lettres de Proust et de Debussy) ou cette étonnante et ludique «conversation avec des revenants» au cours de laquelle l'argentin Alberto Manguel improvisera un dialogue avec Barthes, Borges, Cortazar, via des archives filmées de l'INA... Toutes ces rencontres se déroulent sous la grande verrière des Subsistances dans une ambiance à la fois studieuse et décontractée. Si l'affiche est prestigieuse, le passage des grandes plumes internationales de l'écrit à l'oral est bien sûr plus aléatoire et potentiellement surprenant. On se souvient par exemple de la prestation d'un Claude Lanzman enfermé dans sa bulle narcissique ou, dans un registre plus amusant et stimulant, du philosophe Peter Sloterdijk fuyant systématiquement les questions d'un journaliste pour déplacer sa réflexion ailleurs ! 5es Assises Internationales du Roman
Aux SubsistancesJusqu'au dimanche 29 mai


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Une question de feeling