Le cantique des critiques

Théâtre / François Morel rend hommage à deux critiques de cinéma de l'illustre émission de France Inter, "Le Masque et la plume". Une véritable ode à la radio et à la cinéphilie. Nadja Pobel


«Ouest à normale 5 à 7, pluie mollissant 2 à 4 cette nuit, mer agitée à forte, Est de Cabrera Sardaigne…». Longtemps, la météo marine était intercalée entre le flash d'information de 20h et le début du Masque et la Plume, chaque dimanche. L'émission, créée en 1955 par Michel Polac et François-Régis Bastide, (l'une des plus anciennes des ondes) est consacrée à des débats de critiques de littérature, de théâtre ou de cinéma. Dans les années 60, Georges Charensol et Jean-Louis Bory s'écharpent sur les films à l'affiche et opposent deux visions bien distinctes : Charensol prône un cinéma populaire et ne trouve d'intéressant chez Godard que le joli minois d'Anna Karina, Jean-Louis Bory défend un cinéma moderne jusqu'à l'égosillement. Il faut aller voir Pierrot le fou, dit-il parce que tout Godard est là, «Pierrot est un homme à bout de souffle qui fait bande à part pour s'apercevoir qu'une femme est une femme…». Plonger aussi dans Cris et chuchotements de Bergman qu'il a vu cinq fois «à chaque fois, je suis ébranlé, je mets huit jours à m'en remettre».Cinéma, cinéma
Ce que François Morel transmet parfaitement dans ce spectacle qu'il a mis en scène est cet amour pour le cinéma. En faisant un montage des échanges passionnés entre Charensol et Bory, il incite à se précipiter dans une cinémathèque ou sur sa collection de DVD pour revoir et revoir ces longs-métrages là. Instants critiques est aussi un hymne à la joute verbale, à l'exercice radiophonique. Et le geste théâtral que François Morel ajoute est finalement encombrant. La chanteuse et musicienne, Lucrère Sassella gagnerait à rester constamment sur le plateau afin de ne pas couper le rythme de ses acolytes lors de ses allers-retours, les petites phases chorégraphiées, qui servent de transitions à certaines séquences sont superfétatoires, tout comme les images projetées sur le décor pour figurer Le Corniaud. Olivier Broche, dans son impeccable col roulé rouge, incarne avec conviction le dandy homosexuel et pertinent qu'était Bory jusqu'à son suicide en 1979. Olivier Saladin est un Charensol ronchon et admirateur de la jeunesse de son collègue. Si ce spectacle ne révolutionne pas le théâtre, il n'en demeure pas moins être une vigoureuse et sincère invitation à retourner dans les salles obscures ou à terminer son week-end en écoutant France Inter. Instants critiques
Au théâtre Les Célestins Jusqu'au vendredi 10 juin


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