Nos petites bulles - Mai 2011
publié dans Connaître par Benjamin Mialot le Dimanche 3 juillet 2011
Chaque mois, la sélection BD du Petit Bulletin. Mai 2011 : où il est question du Vietnam, du Cambodge, de l'Allemagne, d'Asgard et de tout un tas d'autres contrées. Voici les BD qui ont retenu notre attention le mois dernier.
Benjamin Mialot
Dong Xoai, Vietnam 1965 (Soleil)
Scénario et dessin : Joe Kubert
Dans le genre légende vivante, Joe Kubert se pose là. Non content d'avoir offert au monde des comic-books certaines de ses plus belles planches et deux de ses plus talentueux dessinateurs contemporains (ses fils, Adam et Andy), le bonhomme continue à l'aube de son quatre-vingt-cinquième printemps de la couvrir les chefs d'œuvres. Ainsi de Dong Xoai, où la guerre du Vietnam se donne à voir dans le plus simple appareil, pour le meilleur (des gamins faisant la queue pour du chewing-gum) et surtout pour le pire (mortiers, lance-flammes...). On y suit plus précisément la descente aux enfers de la section A-313, venue former ses alliés locaux pour mieux se retrouver sur le chemin des Vietcongs marchant sur Saïgon. Le résultat, extrêmement instructif, magistralement illustré (ni phylactères ni cases, juste des crayonnés) et, il faut le dire, un peu trop patriotique, est à couper le souffle.
L'Année du lièvre – Tome 1 (Gallimard)
Scénario et dessin : Tian
Après le Vietnam, direction le Cambodge au lendemain de la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges (1975), sur les traces d'une famille de bourgeois et d'intellectuels condamnée à l'exode, autant par crainte de bombardements américains que pour échapper au funeste sort que le nouveau gouvernement leur réserve. Autant dire que, peut-être plus encore que dans le cas de Dong Xoai, on ne rigole pas des masses à la lecture de
L'Année du lièvre, dernière trouvaille de la collection Bayou qu'anime Joann Sfar pour les centenaires éditions Gallimard. Surtout que l'urgence et la tension qui en émanent sont précisément celles qui ont rythmé l'enfance de l'auteur. Nommé Tian et dépositaire d'un coup de crayon à la fois approximatif et énergique, véritable marque de fabrique de ladite collection, il signe avec ce premier épisode les prémices d'un triptyque d'une folle puissance documentaire et dramatique.
Haarman, le boucher de Hanovre (Casterman)
Scénario : Peer Meter
Dessin : Isabelle Kreitz
Bonne humeur et barres de rire à nouveau, avec
Haarman, le boucher de Hanovre, et pour cause : y sont racontés par le menu les agissements de Fritz Haarman, tueur en série allemand fort d'une petite trentaine de victimes et dont la particularité était de faire commerce de leur chair et de leurs vêtements, non sans les avoir violées et égorgées au préalable. Sa «carrière» aura duré pas moins de six ans, grâce à la complicité indirecte des forces de l'ordre (informateur, il se servait de ce statut pour appâter fugueurs, petits délinquants et prostituées), lesquelles le gratifièrent en retour d'un coup de guillotine. Entre de mauvaises mains, un tel matériau aurait vite fait de sombrer dans le sensationnalisme. Grâce à Peer Meter, déjà à l'œuvre sur le glaçant
L'Empoisonneuse et à la virtuose Isabelle Kreitz, c'est un récit noir d'une admirable sobriété et d'une renversante méticulosité qui en résulte.
Thor – Tome 1 (Panini Comics)
Scénario : J. Michael Straczynski
Dessin : Olivier Coipel
Une journaliste (sous-entendu «faisant bien son travail») n'est pas qu'un défricheur. Il lui faut aussi, parfois, jouer les rabat-joie. À l'aune de ce constat, nous vous enjoignons à oublier l'existence même du film
Thor, adaptation ripolinée et mollasse des aventures du personnage créé par Stan Lee et Jack Kirby pour le compte des éditions Marvel en... 1962. Approche industrielle de la BD oblige, ce musculeux blondinet émargeant à la fois chez les divinités nordiques et chez les super-héros a depuis connu bien des aventures. Assez en tout cas pour décourager les novices ès querelles asgardiennes de s'y plonger. C'est compter sans Michael Straczynski, scénariste télé à succès ("Bavylon 5") reconverti en dépoussiérant pour mythes du neuvième art ricain : shakespearien en diable et grandiosement illustré par le frenchy Olivier Coipel, son appropriation est à l'image de celle dont il a gratifié Spider-Man, soit une accueillante porte d'entrée.
Le Puzzle du mois: Alter Ego (Dupuis)
Scénario : Pierre-Paul Renders et Denis Lapière
Dessin : Mathieu Reynès, Benjamin Benéteau, Luca Erbetta, Ricard Efa et Emil Zuga
En bande-dessinée comme ailleurs, le moyen le plus sûr de sortir du lot est de créer l'événement. En bouleversant les formats et délais de parution (l'éphémère collection 32 de Futuroplis), en donnant suite à une série intouchable (l'aberration
Gastoon, ou les méfaits du neveu du
Gaston de Franquin), en assemblant un véritable détachement d'auteurs dans le cadre d'un projet biscornu au long cours (
Destins, où les cinq vies possibles d'une femme confrontée à un dilemme existentiel)... Évidemment, quand un éditeur se pique de telles ambitions, il ne s'offre à lui que deux options : ça passe ou ça casse. Dans le cas d'
Alter Ego, thriller d'anticipation dont chaque tome raconte un même événement du point de vue de l'un de six personnages impliqués, ça passe tranquille. Pour la simple et bonne raison qu'il affiche toutes les qualités d'une bonne série US : du suspens, du rythme, de la cohérence et un cachet visuel.
Et aussi...Alamo – Tome 1 (Soleil ) : Le siège d'Alamo, qui vit deux centaines de Ricains trépasser sous les assauts de cinq milliers de Mexicains au terme d'un héroïque résistance, est aux États-Unis ce que la bataille des Thermopyles est à la Grèce : un mythe fondateur. Dobbs et Darko Perovic le saisissent habilement via ce western dont le classicisme n'a d'égal que l'efficacité.
Saint-Étienne – Lyon (La Boite à bulles) : On savait B-Gnet passablement dérangé, mais à ce point... Ceci étant, vous ne lirez ces jours-ci rien de plus fendard que cette succession de strips contant l'abracadabrant voyage en avion d'une famille stéphanoise en direction de la capitale des Gaules. Mention spéciale aux hijackers savoyards armés de feuilles coupantes.
L'Odyssée de Zozimos – Tome 1 ( Çà et Là) : Prenez
L'Odyssée. Remplacez les vers d'Homère par les traits minimalistes de Christopher Ford, Ulysse par un Zozimos un rien crétin, les péripéties épiques par des mésaventures farfelues. Vous obtenez cette amusante et entraînante quête de vengeance, courtoisie du flair des éditions Ça et Là.
Le Grand Rouge (Manolosanctis) : Bouffer à tous les râteliers sans verser dans l'indigeste, tel est le modeste exploit accompli par Wouzit avec cet album zoologiquement inventif et agréablement bariolé où, le long de deux histoires subtilement convergentes, se côtoient science-fiction, fantasy et western. Excellente surprise
Chroniques Outremers – Tome 1 (Dargaud) : Hugo Pratt n'est pas mort, il a pris possession du corps de Bruno Le Floc'h. En témoigne cette surprenante histoire de trafic d'armes maritime sur fond de Première Guerre mondiale, dont les élégants aplats de couleurs et contours à l'italienne n'aurait pas dépareillé dans la biblio du créateur de Corto Maltese.