Nos petites bulles - Juin 2011

Chaque mois, la sélection BD du Petit Bulletin. Juin 2011 : où il est question de vikings, de piranhas, de cadres, d'ours et de légumes. Voici les BD qui ont retenu notre attention. Benjamin Mialot


Northlanders – Tome 1 (Panini Comics) Scénario : Brian Wood Dessin : Davide Gianfelice On vous a déjà dit qu'en matière de comic-books tout ce qui portait le sceau Vertigo était génial ? Une bonne centaine de fois ? Et bien en route pour la deux-centième. Oh ne nous remerciez pas. Remerciez plutôt le scénariste Brian Wood (remarqué avec DMZ, excellent thriller militariste) qui, en compagnie de divers dessinateurs passés maître dans l'art de la représentation de grands espaces arrosés de sang, signe avec Northlanders une âpre et spectaculaire étude des mœurs (machisme, conquêtes, ripailles, honneur) et de l'imagerie (ruralité, cornes, haches, fourrures, barbes et navires cauchemardesques) viking. Ce premier arc narratif, qui voit un roi exilé revenir au pays pour arracher des mains de son oncle le trône qui lui revient de droit, est l'un des plus jouissifs (pour lecteurs avertis, comme on dit) et résonnants (il y est question de pureté ethnique et de frictions entre païens et chrétiens) de la série. Love – Tome 1 (Ankama) Scénario : Frédéric Brrémaud Dessin : Federico Bertolucci On a beau connaître l'habileté au pinceau/à la plume/au crayon des Italiens, à chaque fois qu'une nouvelle tête surgit du pays en forme de botte, c'est la même chose, on tombe à la renverse. Ce mois-ci le coupable de cette culbute fessière se nomme Frederico Bertolucci et l'objet du délit Love. Ne vous laissez pas abuser par le titre : nulle romance gnangnan derrière lui, mais un récit animalier d'une hardiesse (muet, il narre la malchance à la chasse d'un tigre) et d'une splendeur (cette précision anatomique, ce dynamisme kinésique, ces décors bruissant de la majesté des estampes japonaises, mama mia) rafraichissantes. Ne comptez toutefois pas retrouver la profondeur d'un Gon (l'apprentissage de la vie sauvage d'un bébé tyrannosaure surpuissant) ou d'un Pride of Baghdad (la guerre d'Irak vue par des lions échappés d'un zoo), ce premier volet pêchant par sa vacuité narrative. A lire comme on lit un beau livre, en somme. Catalyse (Manolosanctis) Scénario et dessin : Pierre-Henry Gomont Les bandes dessinées traitant du monde du travail et de ses atours d'enfer terrestre se comptent sur les doigts d'une main de lépreux. Cette ignoble métaphore digérée, louons la publication de Catalyse par l'éditeur communautaire Manolosanctis. D'autant que ce thriller social tape drôlement juste et fort, pour dire qu'il s'agit seulement du deuxième ouvrage de son metteur en mots et en images, le dénommé Pierre-Henry Gomont. On y fait la connaissance de Lionel, cadre d'une société d'audit. Sa mission : ausculter les comptes d'une entreprise de sidérurgie, et plus si affinités. Son obsession : Céline, sa séduisante colocataire, en passe de s'installer au Qatar. Dans les deux cas, du vide, terrain fertile pour un déraillement dans les règles. Bon d'accord, raconté de la sorte, ça a l'air pontifiant. Il n'en est rien : modèle de tension souterraine et de contemplation industrielle, Catalyse réussit le pari d'être à la fois dérangeant, crédible et mesuré. L'Ourso (12 Bis) Scénario : Merwan Dessinateur : David Alapont Ça c'est un ours, un pur et dur. Un ours comme ça ma bonne dame, il n'aurait fait qu'une bouchée de cette petite effrontée de Boucle d'Or. Un ours de cette trempe, il n'aurait pas laissé Jean-Jacques Annaud filmer son intimité sans lui bouloter un bout de joue. C'est d'ailleurs le sort qu'il a réservé au frère de Mikhail et Fédor. Un sort que ces deux derniers, en dépit de leurs antagonismes et malgré les quinze années écoulées depuis le drame, ont l'intention de lui faire payer. Voilà peu ou prou ce que raconte L'Ourso, conte initiatique en territoire russophone dont le classicisme n'a d'égal que le punch. Ceci grâce à aux talents conjugués de Merwan et David Alapont. Le premier, confirmant sa disposition pour les questions morales et l'ésotérisme (cf. ses deux pièces maîtresses, Pour L'Empire et L'Or et le sang) tandis que le second, venu de l'animation, s'affirme d'emblée comme un gribouilleur de premier plan. Le reportage du mois En cuisine avec Alain Passard (Gallimard) Scénario et dessin : Christophe Blain Après avoir croqué à mots couverts le quotidien de Dominique de Villepin dans Quai d'Orsay, Christophe Blain s'intéresse à un microcosme non moins exigeant, organisé et sous pression que celui des affaires étrangères : celui de la haute cuisine, en l'occurrence celle que concocte le Breton Alain Passard dans les coulisses de l'Arpège, restaurant triplement étoilé sis dans le septième arrondissement de Paris. Le compte-rendu de ses observations est à l'image de l'album paru au terme de son immersion diplomatique, soit également instructif et amusant. Mais on n'en attendait à vrai dire pas moins de la rencontre au sommet de la minutie dépouillée caractérisant le travail de Blain et de la personnalité hors-normes du cuistot, mi-poète (il faut voir comme il parle des légumes, sa spécificité) mi-bourreau de travail (jusqu'à 20 heures par jour). En plus il y a des recettes. Ultra-techniques, mais des recettes de chef quand même. Et aussi... Lomax – Tome 1 (Dargaud) : L'histoire de John et Alan Lomax, ethnomusicologues qui vouèrent leur vie à l'enregistrement des musiques populaires américaines (blues, folk, chants de prisonniers...), par Franz Duchazeau. Passionnant, notamment à l'aune de ce que dit cette philanthropique épopée des ségrégationnistes années 30. Cent mille journées de prière (Futuropolis) – Livre premier : Un père dont il ne reste qu'une vieille photo, une mère minée par les secrets, un contexte historique étouffant (l'après-Cambodge des Khmers rouges)... Pas facile pour le petit Louis de recoller les morceaux du puzzle familial. Pas facile, non plus, d'attendre la suite de ce drame tout en retenue, signé Loo Hui Phang. Ace/Face – Le Mod aux bras de métal / Les Aventures de Jack et Max (Ça et Là) : D'un côté les aventures d'un mod (la coupe French Line, The Who, tout ça) né sans bras mais passé sur le billard d'un oncle scientifique. De l'autre, les chamailleries de deux frangins dotés de pouvoirs. Dans les deux cas, un sincère et tordant hommage aux super-héros et à la culture british, courtoisie de l'Écossais Mike Dawson. Les Godillots – Tome 1 (Bamboo) : Autant nous sommes allergiques à l'humour corporatiste dont sont coutumières les éditions Bamboo, autant ces Godillots nous ont scotché. Déjà parce qu'il faut une certaine audace pour s'attaquer à la Grande Guerre de la sorte. Surtout parce que la gaudriole y est surlignée par une vraie patte graphique et un sérieux contextuel inattendu. Le Club du suicide (Soleil) : Clément Balout et Eddy Cavaro adaptent le vénéneux et retors roman de Robert Louis Stevenson (des gentilshommes jouent leur vie aux cartes). Illustré par des aquarelles joliment désuètes, le fruit de leurs efforts a beau être un peu trop fidèle à l'original, impossible de résister à la tentation de le croquer à pleines dents.


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