L'opéra a du nez

L'Opéra de Lyon ouvre sa saison avec un Nez d'anthologie, étonnant et déconcertant, celui de Dimitri Chostakovitch, compositeur russe plus connu pour sa musique de chambre sombre et bouleversante, que le quatuor Debussy fera entendre en parallèle de l'événement. Pascale Clavel


Le Nez, qui vient d'avoir un vif succès au Festival d'Aix cet été, arrive à Lyon et les mélomanes de tous poils vont être séduits, c'est certain. Le triomphe d'Aix n'est pas dû au hasard. Prenons un bon chef à la tête de l'orchestre de l'opéra — Kazushi Ono ; un plasticien-metteur en scène hors cadre, au regard décalé et amusé sur le monde de l'opéra — le Sud-africain William Kentridge ; et une œuvre peu connue d'un compositeur russe visible mais pas trop : vous obtiendrez un moment singulier, une expérience unique. Le Nez, c'est tout d'abord une nouvelle surréaliste de Nicolas Gogol, avant de devenir le premier opéra de Dimitri Chostakovitch, écrit lorsque le compositeur avait 24 ans. L'intrigue peut paraître simple : Platon Kovaliov découvre un matin que son nez a disparu. Passé un moment de stupeur, il part à sa recherche. Après de nombreuses et loufoques péripéties, le nez reviendra a sa place. Les audaces de cette œuvre ont vite été sanctionnées : le Nez fut interdit par le régime soviétique en 1930, juste après sa création. Sous la baguette de Kazushi Ono, l'orchestre se donne sans compter et offre avec générosité toute l'ironie et l'âpreté de la partition, montre toutes les couleurs des climats fantastiques, surréalistes de chaque moment. C'est tendre et grotesque à la fois, rythmé et foutraque tout ensemble. La mise en scène en rajoute une couche ; débridée, elle casse les codes, bouscule le cadre et, sans extravagance, plonge le public dans une sorte de rêverie fantastique et vertigineuse.

Debussy joue Chostakovitch

En parallèle des représentations du Nez, Le Quatuor Debussy propose un marathon que les mélomanes vont adorer, comme une expérience de l'extrême, un moment que l'on ne vit qu'une fois. En trois soirées Salle Molière, les Debussy vont se confronter à l'intégrale des Quatuors à cordes de Chostakovitch. Quinze opus écrits comme un journal intime d'une dimension humaine sans bornes, quinze petits moments musicaux que le Quatuor Debussy, comme a son habitude, va transcender et dont il va révéler la substantifique moelle. Le Quatuor français n'a plus à prouver son niveau international ni son attachement à l'œuvre de Chostakovitch. Les quatre comparses montrent par ces quinze quatuors toutes les formidables palettes sonores dont ils disposent ensemble. Avec une intelligence fine, le Quatuor cherche toujours une interprétation au service du compositeur, dans un équilibre constant des timbres, dans une écoute proche du religieux, dans un toucher d'une exceptionnelle qualité. Ce n'est pas pour rien que leur enregistrement de l'intégrale des Quatuors vient d'être dignement célébré. Il faut donc courir à ce Marathon.


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