Sens interdits, jour 4 : Quand les repères s'effacent

Théâtre / Ňi pu tremen (Chili). Nadja Pobel


On s'était dit avant d'entamer ce marathon théâtral qu'on ne verrait les spectacles qu'avec un œil critique, que l'estampillage "venus d'ailleurs" n'empiéterait pas sur notre jugement. Que quel que soit le pays d'origine de la création proposée et les difficultés avec lesquelles elle s'est bâtie, cela ne supplanterait pas sa qualité intrinsèque théâtrale. Et voilà que tout fout le camp. Avec Ňi pu tremen (au TNG jusqu'à mercredi), il n'est plus possible d'appliquer une traditionnelle grille analytique. Rien ne tient et pourtant les onze femmes sur scène face à nous émeuvent. Toutes ridées, elles convoquent leurs souvenirs de jeunesse qu'elles ont longtemps tus, dans la république de Pinochet notamment. Elles sont mapuche, minoritaire communauté chilienne souvent méprisée. Mais la toile de fond historique n'est pas dessinée. Elles font juste remonter à la surface leur vie de femme et de mère tout en travaillant la laine ou buvant du maté. Les témoignages s'égrènent, elles s'accompagnent mutuellement par de la musique et s'habillent les unes les autres de leurs costumes traditionnels. C'est simple et délicat. Et il est impossible en les regardant de ne pas penser au voyage qu'elles ont effectué pour venir nous donner un bout de leur Chili. Tout ce parcours-là est contenu dans ce spectacle par ailleurs très minimaliste (une table, des chaises) et pas toujours très fluide (les déplacements son approximatifs). Mais l'émotion passe. Et le festival Sens interdits prend alors tout son sens en nous obligeant à revoir notre position face à l'objet théâtral. Non, le théâtre n'est pas toujours calibré selon des savoirs bien établis qui seraient ceux dispensés dans les grandes écoles occidentales (scénographie, jeu de l'acteur…). Avec leurs outils, ces femmes-là dirigées par Paula González Seguel transmettent toute leur sensibilité.


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