La carte et le territoire

Que font un écrivain français (Duras) et un Président de la République française (Mitterrand) quand ils se rencontrent ? Ils parlent de leur pays, de ses reliefs, de son histoire. Ils nous parlent de nous. Nadja Pobel


François Mitterrand l'a toujours dit : il aime la France «physiquement». Il en connait les campagnes (la Charente, l'église d'Aulnay) et les villes (Paris, où il aime toujours revenir). Dans les entretiens de 1986, dont est tiré le spectacle, il réaffirme son attrait pour la géographie : «ce sont les cartes coloriées de mon enfance qui ont déterminé ma vision du monde» confie-t-il. Lui qui fut ministre de la France d'Outre-Mer, «c'est-à-dire, en fait, ministre de l'Afrique», évoque les couleurs ocre-jaune de l'Égypte et les odeurs de la forêt des Landes dont il ne peut se passer. On découvre aussi le Mitterrand humaniste ne craignant pas les vagues d'immigration que Duras aborde pragmatiquement. Et il rappelle cette réalité : la France est un pays de droite qui parfois (quatre fois en 200 ans) se prend de passion pour la gauche. Il ne faut donc pas chercher dans ce spectacle de polémique sur la vie du Président. L'affaire Bousquet, celle du sang contaminé, de l'Oratoire ou encore sa francisque n'étaient d'ailleurs pas toutes sorties de terre. Outre la géographie du monde, Mitterrand et Duras remuent leur histoire commune et leur amitié née pendant l'Occupation quand, en 1944, Jacques Morland (nom de guerre de Mitterrand) évite à l'écrivain d'être embarquée par les nazis alors que son époux Robert Antelme est déporté. C'est encore Mitterrand qui retrouvera Antelme mort-vivant dans un camp de Dachau et le fera rapatrier en France.

Le monopole du cœur

Ces années-là qui constituent la deuxième partie du spectacle sont les plus incarnées sur scène. Le dialogue commence vraiment et les mots se chevauchent car les comédiens laissent de côté le livre sur lequel ils s'appuyaient jusqu'alors. Et quels comédiens ! Marief Guittier, fidèle de Michel Raskine depuis plus de vingt ans et le novice Patrice Béghain, homme de politiques culturelles, ex-DRAC et ancien adjoint à la culture de Gérard Collomb à Lyon. Ce duo inégal sur le papier l'emporte haut la main sur la scène en bi-frontal et sous la direction bienveillante de Gilles Pastor : ils ne cherchent pas à imiter leurs célèbres personnages. Béghain EST littéralement Mitterrand presque malgré lui, un mimétisme naturel d'homme de pouvoir peut-être qui pousse à croire que ce sera l'unique rôle de sa vie. Cette histoire française s'accompagne d'images de l'INA des obsèques de Mitterrand et Duras en 1996. Les larmes des grands ce monde ont alors encore le goût amer de l'enfance en fuite.


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