Un grand bol d'Eire

Rendez-vous manqué du printemps à l'Epicerie Moderne alors emportée par une vague d'annulation, l'Irlandais James Vincent McMorrow revient pour un set solo. Et on est très content. Stéphane Duchêne.


À ceux qui assimilent les termes «ballade irlandaise» à André Bourvil, à la famille Corr et ses bombasses à cordes et à millions (d'albums vendus) ou aux renvois éthyliques de Pogues roulés sous la table d'un pub, voici une occasion de se remettre d'aplomb.

Ici point d'oranger en situation irrégulière ou de solo de flûtiau. Et pourtant on identifie l'air de l'Eire à une voix qu'on devine anciennement rocailleuse, comme ravinée par un puissant torrent creusant la lande. C'est le punk sur lequel James Vincent McMorrow s'est jadis éparpillé l'organe façon puzzle hardcore, le laissant quelque part entre le timbre canadien de Ray LaMontagne et les trémolos nordiques de Thomas Dybdhal.

Moins beau gosse, plus déchiré (la Guinness sans doute), il compose à la pelle, disons à la petite cuiller tant c'est raffiné, des complaintes qui foutent le sum direct, comme disent les jeunes, ou vous enchantent une matinée quand il n'y a plus de Ricorée, comme l'indique le titre de son album Early in the Morning. Lequel, en toute discrétion, se glissera tel papa dans maman au faîte des palmarès de fin d'année de la police du goût, on peut le parier.

Si j'avais un bateau

Comment résister en effet à la mélancolie de If I had a boat (son «Si j'avais un marteau» à lui, et en mieux, ça va sans dire), à la note de piano répétitive qui hante We don't Eat comme une mauvaise pensée, ou à la mélodie gentiment sautillante de Breaking Hearts, dont le titre parle de lui-même, à ses petits arpèges de banjo irlandais disséminés un peu partout comme des moutons sur une carte postale ?

Il y a quelque chose d'unique dans la manière dont McMorrow manie le dépouillement et la luxuriance, la simplicité apparente habillée de sophistication, la rugosité patinée et la subtilité, comme un Bon Iver moins éthéré, les pieds bien ancrés dans la terre. Il lui suffirait même par instant d'une lettre pour paraître islandais.

Sur la pochette d'Early Morning, écrit dans une maison au bord de la mer, on aperçoit quelqu'un (McMorrow ?) debout sur le sable au pied d'une dune bien verte mais un peu pelée au second plan, comme si Mc Morrow avait voulu, en un ultime geste punk, écorcher la lande pour la mettre à nu. Sous l'herbe verte, non pas la plage, mais les sables mouvants de l'âme, sur lesquels, c'est sûr, aucun oranger jamais ne poussera.

 


James Vincent McMorrow - This Old Dark Machine... par Believe


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