La tragédie du dedans


Théâtre / «Toute l'invention consiste à faire quelque chose de rien» écrivait Racine à propos de Bérénice, où le sang ne coule pas et où l'action est réduite à la portion congrue. La déchirure est ici intérieure, au sein du corps et de l'esprit, entre l'amour et le désir d'un côté, la raison et la loi sociale de l'autre. Bérénice aime Titus, et lui de retour, mais s'il veut régner sur Rome il lui est interdit d'épouser une reine étrangère. Un troisième monarque, Antiochus, est lui partagé entre son amitié pour Titus et son amour rival et caché pour Bérénice.

Ce théâtre des passions et des pulsions réfrénées est plutôt bien rendu par la mise en scène de Laurent Brethome. Il y règne notamment une tension sourde et une ambiance continuellement hantée : il utilise pour cela une musique diffusée à bas volume tout au long de la pièce et de grands voiles noirs translucides à travers lesquels apparaissent des «images» fantomatiques, ou bien entre lesquels rôdent certains personnages.

Le travail du délicat chorégraphe Yan Raballand a certainement beaucoup participé à cette étrange présence des corps, de gestes subreptices, de déambulations périphériques et effacées, en contrepoint à d'autres éclats plus sensuels. Au centre de la scène, les trois protagonistes principaux, vêtus de costumes mélangeant les époques, se débattent avec leurs contradictions. Et les comédiens avec les vers, beaux et difficiles, jusqu'à parfois s'époumoner et se vider de leur salive. Racine n'est jamais facile, mais Brethome signe là une adaptation honorable.

Jean-Emmanuel Denave


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