L'impro vise haut

Multiplication des troupes, formules de plus en plus originales et abouties visant tout type de publics : l'improvisation est devenue à Lyon un incontournable du spectacle vivant. Plan général de ce phénomène et zoom sur deux concepts novateurs. Christophe Chabert


Il y a presque vingt ans, en septembre 1991, à l'initiative d'une poignée de comédiens s'inspirant des ligues québécoises mais aussi des tentatives parisiennes du genre, Lyon se dotait de sa première compagnie d'improvisation, la LILY (Ligue d'Improvisation LYonnaise). Deux décennies plus tard, le genre connaît un boom manifeste, avec une douzaine de troupes en exercice, des rendez-vous réguliers un peu partout, des concepts d'une grande originalité, des spectacles qui s'adressent à tous les publics ou qui ne cherchent plus seulement le comique pur… Signe qui ne trompe pas : alors que l'impro avait au départ trouvé refuge dans des lieux qui en avaient fait leur spécificité (la Graine, devenue depuis la Mi-Graine, La Marquise, presque tous les cafés-théâtre ont aujourd'hui leur spectacle improvisé, sinon leur compagnie attitrée (les Schyzoz au Fou, Les Dingos au Repaire, Les Improlocos aux Tontons flingueurs, Et compagnie à l'Espace Gerson, la LILY au Complexe du rire, la Lilyade à la Mi-Graine…). Tout a démarré avec les fameux Matchs d'impro, répliques de ceux créés au Québec sur des règles strictes : une patinoire, deux équipes en tenue de hockey, un arbitre fixant des contraintes puis faisant respecter scrupuleusement le bon déroulé de la rencontre (pas de «refus de jeu», pas de fautes «de rudesse»…), le tout sans le moindre accessoire, postiche ou tenue additionnelle. Il connaît rapidement un double d'inspiration anglo-saxonne, le Catch d'impro, créé en France à Strasbourg et importé à Lyon par Et compagnie, troupe formée en 2002 par d'anciens membres de la Lilyade décidés à passer professionnels. Au gré de la créativité des compagnies et des comédiens, l'improvisation a fini par recouvrir une infinité de formes qui n'ont souvent en commun que l'absence de texte préalablement distribué aux comédiens.

«La qualité principale, c'est l'écoute

Les activités des troupes et leur fonctionnement est tout aussi varié, sinon variable. À la LILY, on propose des prestations en entreprise, tout comme chez Et compagnie… Les stages à thèmes peuvent s'adresser aussi bien à des amateurs pour leur loisir (la mode du développement personnel croise ici la mouvance de l'impro) qu'à des comédiens déjà en activité et soucieux d'élargir leur palette. Les ateliers de la LILY et ceux d'Et Compagnie ont ainsi vu défiler une partie importante des acteurs qui, par la suite, ont monté leur propre troupe. «On fait des petits et ils grandissent» commente Cécile Giroud, une des comédiennes de la LILY. Même discours de la part d'Alexandre Chetail d'Et Compagnie : «On leur fait découvrir un outil, il est normal que les gens aient envie de faire la même chose que nous. L'improvisation, il faut la jouer.» Si la troupe d'Et compagnie n'a quasiment pas bougé depuis sa création, la LILY est en constant renouvellement. «Avant, on recrutait dans nos ateliers des gens qu'on intégrait à la Ligue» explique Cécile Giroud. «Maintenant, on ne fait plus appel qu'à des comédiens professionnels.» Chez Les Improlocos, produit et présenté par le collectif La Scène Déménage, l'intégration au groupe se fait selon un principe très différent : «Chaque année, on s'agrandit de trois ou quatre membres» explique Jocelyn Flipo, responsable artistique. «Ceux qui demandent à nous rejoindre sont orientés vers nos ateliers, et si ça marche, on les prend. Mais c'est avant tout fraternel, on est une bande de copains, on aime vivre et jouer ensemble.» Toutefois, les Improlocos se veulent une troupe «d'amateurs avertis au sein d'un collectif artistique qui est aussi entrepreneur de spectacles.» En gros, amateurisme ne veut pas dire n'importe quoi. Cécile Giroud fait un constat du même ordre : «L'impro est victime de son succès. Elle semble accessible à tous car elle ne nécessite pas d'apprendre du texte. Mais le type d'improvisation que l'on défend demande un apprentissage technique : se tenir sur scène, poser sa voix et surtout écouter les autres. La qualité principale, c'est l'écoute.»

Créativité en hausse

Dans le bouillonnement actuel, chacun doit donc trouver sa place, son style ou ses vitrines événementielles. Et compagnie a pris les rênes de Spontaneous, premier festival lyonnais dédié à l'improvisation sous toutes ses formes ; la LILY, dans son ingénieux Les Murs ont des oreilles, enregistre avant le début du spectacle les conversations des spectateurs et les utilise comme base de ses impros ; les Improlocos ont réussi à marier le trait libre du dessinateur de bédé et la spontanéité de l'acteur face à des dessins qui s'inventent sous leurs yeux… C'est la vraie bonne nouvelle de cette explosion de l'improvisation : elle est aussi une école qui essaime peu à peu hors de son cadre d'origine, dans le théâtre comique ou dans le théâtre tout court.


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