La stratégie du choc

Panorama / Considérée comme une période dédiée aux films «sérieux», la rentrée cinématographique 2012 envoie un contingent de films excitants sur les écrans. Avec, déjà, quelques coups de cœur ! Christophe Chabert


En attendant de voir le biopic signé Eastwood autour d'Egar Hoover avec Di Caprio dans le rôle du chef du FBI très réac, très parano et un peu pédé ; en attendant de jauger l'accueil réservé à la résurrection en 3D de deux blockbusters à succès (Titanic et Star Wars épisode 1, que Lucas aurait mieux fait de retourner dans son intégralité) ; et en attendant de confirmer les rumeurs flatteuses qui entourent le nouveau Spielberg Cheval de guerre, il faut d'ores et déjà louer le cinéma américain qu envoie un putain de grand film dans les dents des spectateurs dès le 18 janvier. Rien d'étonnant, direz-vous, puisqu'il est signé David Fincher… Mais on pouvait craindre qu'il ne s'embourbe dans l'adaptation du Millénium de Stieg Larsson, qui avait donné un interminable téléfilm derrickien. Grave erreur ! Non seulement Fincher réussit ici une version 2.0 palpitante de cette daube arthritique, mais le 2.0 est également son territoire de jeu. De l'opposition narrative entre le journaliste Blomqvist et la punkette Salander, le cinéaste tire un clash esthétique et théorique où les images d'hier sont bousculées par l'irruption du numérique. Deux corps, deux époques, deux cinémas : ce Millénium est aussi audacieux que le précédent Fincher, The Social network.

La tête contre les murs

Pendant ce temps, en Europe, ça bouge dans tous les sens. En Russie, Andrei Zviaguintsev fait oublier son chiantissime Bannissement avec Elena (7 mars). Tout ici est affaire de conflit entre les riches (arrogants, égoïstes, mesquins) et les pauvres (beaufs, buveurs, bagarreurs) ; sauf que le cinéaste invente un personnage incroyable (la Elena du titre) qui navigue entre les deux et permet au film de bousculer tous les clichés… En France, Eric Guirado a curieusement signé un film au sujet proche (et qui sort le même jour), Possessions. S'il n'a pas l'ampleur cinématographique d'Elena, le film a pour lui un sacré culot, celui d'aller au bout de son fait-divers et de sa noirceur, refusant la leçon de morale et les jugements faciles : quelque chose ne tourne pas rond, nous dit-il, et le cinéma ne peut que s'en faire l'écho inquiet. Le déraillement, c'est aussi le sujet d'une authentique claque venue de Belgique : Bullhead de Michaël R. Roskam. Un film (de) fou, où ce jeune cinéaste virtuose malaxe histoire mafieuse déviante, drame existentiel et comédie sur l'impossible réconciliation entre Wallons et Flamands. Mélange aussi improbable que les pots belges que s'injecte son héros hallucinant, mais que Roskam maîtrise jusqu'au tournis des sens.  Un choc, encore un !


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Louise Wimmer