Le Blues du businessman

Avec "Un petit coup de blues", Jacques Chambon ressort son petit manuel de la comédie efficace, y ajoutant ce qu'il faut de nouveautés pour éviter la redite, et incorporant dans son univers deux comédiens hors norme : Nicolas Gabion et Damien Laquet. Christophe Chabert


Prémisse A : soit un énergumène généralement à l'ouest de son époque, gentiment benêt et donc profondément attachant. Exemple : un gardien de nuit qui occupe ses heures de travail à répéter un show musical où il (ré)incarne Elvis Presley. Prémisse B : soit un spécimen typiquement contemporain et du coup représentatif d'un siècle matérialiste, individualiste et gouverné par l'avoir et le pognon. Exemple : un cadre stressé marié à une femme dépensière et récemment viré par un supérieur encore plus beauf que lui. Axiome A : réunissez-les dans un lieu d'où ils ne peuvent sortir ni l'un, ni l'autre — au besoin, inventer tous les prétextes possibles pour les retenir à l'intérieur. Axiome B : débrouillez-vous pour qu'ils se mettent sur la gueule avec un maximum de dialogues percutants et de vannes grinçantes. Axiome C : révélez que l'idiot n'est pas forcément celui que l'on croit, que le bon sens n'est pas obligatoirement du côté de l'idéologie dominante, et que répéter quelques vérités essentielles (on n'a qu'une vie, autant ne pas la dépenser en essayant de la gagner) n'a jamais fait de mal à personne. En gros, vous obtenez une bonne comédie de Jacques Chambon, et c'est ce qu'est Un petit coup de blues.

Elvis et vertus

Bien sûr, après l'ouragan comique Ta gueule !, qu'il avait taillé sur mesure pour lui-même et son camarade Dominic Palandri, cette nouvelle pièce paraît un poil plus pépère, l'antagonisme moins fort, les rebondissements plus téléphonés (téléphone qui, d'ailleurs, devient le véritable troisième personnage de l'histoire). C'est plutôt quand Chambon s'aventure dans l'inconnu qu'il emporte le morceau. En incorporant par exemple différents moments musicaux au spectacle, petits instants de cabaret au milieu du récit qui réussissent à faire rire sans pour autant tomber dans la gaudriole parodique. Ce tour de force, Un petit coup de blues le doit aussi à ses deux comédiens, le véritable centre d'attraction de la pièce : Nicolas Gabion, faux Elvis et vrai Martien, et Damien Laquet, génialement odieux, vulgaire et méprisant. Deux corps (et deux voix) mal taillés, bruts, dont la sincérité éclate lorsque le spectacle à son tour repousse ses propres limites : on se demande s'il n'existe pas que pour ce final parfait où, par la grâce d'une chanson, ils trouvent un terrain d'entente à leur juste mesure, une harmonie qui n'est pas que musicale mais aussi simplement humaine.


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J. Edgar