Tahrir, place de la Libération

Immersion en plein cœur du soulèvement égyptien, le documentaire de Stefano Savona présente une facette cruciale des événements en donnant enfin la parole à ses acteurs directs. François Cau


Il y a tout juste un an, les scrutateurs du mouvement révolutionnaire en Egypte – et plus particulièrement de son centre névralgique cairote, sur la fameuse place Tahrir – eurent le plus grand mal à se faire une idée de ce qui s'y déroulait en temps réel. Le blocus à l'encontre des principaux médias d'information internationaux, catalysé par l'agression sexuelle d'une journaliste de CBS et la bousculade d'un propret reporter vedette de CNN, ne nous offrait en pâture que les sempiternels mêmes plans fixes éloignés de ladite place, qu'on mirait H/24 en tremblant au moindre mouvement de foule, avec quelques commentaires journalistiques purement illustratifs en guise “d'analyse“. Et les quelques vidéos uploadées par des manifestants rajoutaient encore plus au trouble... Aussi, l'initiative du bravache documentariste Stefano Savona, resté au cœur des manifestations pendant 18 jours (jusqu'au départ d'Hosni Moubarak), offre un fascinant compte-rendu de ces semaines décisives, à des lieux du zapping multimédia profondément parcellaire visible jusqu'alors. Et cette légitimité s'accompagne en outre d'un geste cinématographique puissant. 

Matérialisation numérique

Pour mener son projet à bien, Savona a agi seul, équipé de son seul 5D Mark II – l'appareil photo numérique avec fonction caméra notamment utilisé sur Rubber de Quentin Dupieux et La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli. La netteté a priori désincarnée de l'image, notamment lors des nombreuses scènes nocturnes, accentue en fait l'implication du spectateur, soudain projeté dans le caractère humainement tangible d'événements qu'il pensait insaisissables. Stefano Savona se concentre sur trois jeunes manifestants, et à travers eux, aux évolutions d'un mouvement décortiqué avec une vraie pertinence de regard dans l'observation de ses mécaniques – débats, élaborations de slogans, de chants... Témoin privilégié des meneurs comme des anonymes, le réalisateur opère in fine un montage dressant une chronologie signifiante, entre colère, rires, élans populaires et violences (les scènes d'affrontement sont particulièrement cinglantes), et souligne même les contradictions inhérentes à ce rassemblement. Sans aucun doute l'un des chocs documentaires de cette année, mêlant sens et émotion avec bravoure.


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