Vortex

Pour son cinquième anniversaire, la galerie Henri Chartier expose des œuvres de l'artiste d'origine belge Jean Raine. Des pièces datant de 1955 à 1986, avec pour point d'orgue une acrylique monumentale, «Fin de comédie». Jean-Emmanuel Denave


Comment peignait Jean Raine (1927-1986) ? À même le sol et en slip, ce qui est plutôt bon signe pour un artiste... Né Jean-Philippe Robert Greenen en Belgique, Jean Raine participa comme poète et cinéaste au groupe COBRA, croisa les chemins du surréalisme en général et de Magritte en particulier, serra la pince d'André Breton et, à partir de 1968,  s'installa dans la région lyonnaise. Toute sa vie, Jean Raine but beaucoup d'alcools, jusqu'à en perdre un temps la perception des couleurs et se mettre alors à composer de grandes encres tremblées, fantomatiques, hallucinées... «Mon œuvre picturale apparaîtra sans doute comme une tératologie complaisante à l'horreur, mais entre autres significations complexes qu'elle revêt, dans le dynamisme créateur de mon expression poétique, elle est sur un plan mythique, une tentative de retrouver l'homme en germe dans une originelle animalité» déclarait Jean Raine. Car, oui, où que vous regardiez parmi ses petites ou grandes toiles, ses dessins ou ses huiles, ses œuvre monochromes ou multicolores, il y a toujours, plus ou moins apparent, au moins un visage humain... L'un des plus beaux et des plus «évidents» est un petit portrait datant de 1961, Je me souviens de toi. Sur du papier marouflé sur carton, l'artiste en quelques traits sinueux et larges, donne à voir une figure, une tête émouvante et mouvante.

L'encéphale dans la main

Et du mouvement, il y en a toujours dans les œuvres de Jean Raine, et du plus tourmenté et tourbillonnesque, jusqu'au delirium parfois. Comme dans cet immense diptyque intitulé Fin de comédie en clin d'œil à Beckett (la toile a d'ailleurs servi de décors à des mises en scène de pièces de Beckett), avec plusieurs visages fondus parmi des halos ou des ondes vibrantes... Ou comme dans cette grande encre stupéfiante, La vie mondaine, faisant défiler son carnaval de personnages grotesques, mi-hommes mi-animaux. Le fluidité du trait est aussi libre que brutale, combative qu'urgente. Le geste prime, avec tout son tintouin d'hésitations, de folie, de tremblements... «J'essaye de travailler non pas avec l'œil mais avec ma main. J'aime que mon encéphale soit dans ma main au moment où je peins. Je n'ai pas besoin de l'œil pour voir, c'est le geste qui décide». Un geste qui descend parmi les profondeurs et les désordres de mondes insoupçonnés, et où la figure se risque aux délires de l'informe.


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