Un port, mais pas de drogue


C'est le point final et le point d'orgue de la rétrospective Samuel Fuller à l'Institut Lumière, sans doute LE classique du cinéaste : Pickup on south street, traduit en français par Le Port de la drogue. "Traduit"n'est pas exact : il faudrait dire "tordu", "censuré", "remodelé". Car ce film noir où l'on tente de mettre la main sur un microfilm contenant des secrets militaires prêts à être livrés à des espions communistes n'était pas du goût du Parti Communiste Français à l'époque, qui mit tout son poids pour en chambouler le sens, ce qui conduit à transformer les rouges montrés par Fuller en dealers en modifiant les dialogues de la VF (que l'on peut entendre, à titre de document, sur le très bon DVD édité par Carlotta). Cette anecdote, fameuse, ne doit pas éclipser la vraie raison qui a fait du Port de la drogue un modèle de film noir et de série B : un cinéma sans gras (narratif) mais qui rentre dans le lard. Fuller, qui n'aimait guère l'aseptisation du cinéma hollywoodien, invente un style où la violence des images est redoublée par la rapidité et la sécheresse d'une mise en scène misant sur un réalisme maximum, privilégiant les décors naturels à ceux, trop artificiels, des studios. Le film étonne encore par sa brutalité et sa noirceur, mais aussi par l'inventivité avec laquelle le cinéaste utilise la caméra. Si Fuller fera encore mieux par la suite en trouvant des sujets qui lui sont sans doute plus proches et moins codifiés, il n'a jamais été aussi virtuose que dans Le Port de la drogue.
Christophe Chabert


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