Rompre le silence


Tout au long de l'album, l'ambiguïté demeure. Deuil ? Séparation ? Les deux ? Un «je», des «tu», comme un dialogue intérieur avec la (les) personne(s) perdue(s) auquel serait invité l'auditeur. Est-ce qui rend cet album si bouleversant ? Sans doute.

Au fond, peu importe de savoir car c'est une histoire «universelle, banale, mon histoire, notre histoire», comme il le murmure en préambule de l'album, avant que ne commencent les choses sérieuses.

Ce sont les premières notes de Cette colère, manière de comptage d'abatis après un ouragan intime. C'est l'un des plus beaux morceaux écrits par Michel Cloup depuis longtemps. Sur un fond de guitares post-rock ascensionnelles Cloup scande : «Recycler cette colère / Car aujourd'hui plus qu'hier / Cette colère reste mon meilleur carburant».

C'est le Cloup de Diabologum et d'Expérience, écorché vif et révolté, celui qui imaginait «de la neige en été» et «des flammes toutes les dix maisons», qui reprenait Gil Scott-Heron avec La Révolution ne sera pas télévisée.

Sauf qu'ici les raisins de la colère sont d'une autre vigne. Les épreuves ont tordu le Cloup, ont tapé dessus jusqu'à l'étourdir. Il n'en est pas ressorti tout à fait dans l'état dans lequel la vie l'avait laissé. Elles ont réveillé sa colère mais aussi une autre manière de voir les choses.

Revenir à l'essentiel via ce parti pris musical minimaliste mais pas dénué de chaleur humaine : une guitare baritone hypnotique et la batterie obsédante de Patrice Cartier.

Un disque de colère blanche donc, mais aussi de recherche du réconfort – ce Cercle Parfait – de prise sur soi. De réflexion, à tous les sens du terme : l'auditeur, ayant tout loisir de calquer ses propres douleurs sur celles du musicien, de les regarder en face, d'endosser tous les rôles de cet album.

Puis vient cette fin comme rêvée, un happy-end bien mérité : une plage sur laquelle les cordes de guitares se muent en rayons de soleil pour des retrouvailles fantasmées. Comme – c'est le titre de ce finale rassérénant – dans Un film américain dont on se repasserait la fin en boucle et dont on serait soi-même le trop heureux survivant.
Stéphane Duchêne

 

 


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La solitude n'est pas une maladie honteuse