Ubu prisonnier


Dan Jemmett aime les acteurs et ils le lui rendent bien. Il sait s'appuyer sur leur énergie ou leur force. On pense notamment à Denis Lavant, excellent dans le rôle d'un capitaine désenchanté (William Burroughs surpris en possession du chant du vieux marin de Samuel Taylor Coleridge) ou à David Ayala, étourdissant dans La Comédie des erreurs (reprise au Toboggan les 12 et 13 mars prochains). Pour Ubu enchaîné, pendant esclave d'Ubu roi, Dan Jemmett a fait appel à Éric Cantona. L'ancien attaquant de Manchester United, devenu défenseur convaincant de la cause des mal logés, est aussi un acteur mastodonte. Sa carrure et sa grande gueule le font entrer dans les habits d'Ubu avec naturel. Mais sur le plateau, Jemmett l'enferme dans une cage dorée. Rivé à un fauteuil, il éructe, jouant sur un seul mode. Lorsqu'il sort de scène pour traverser la salle, le spectacle nous offre enfin une respiration. Mais elle est de courte durée. Valérie Crouzet en Mère Ubu enragée en fait trop alors qu'elle possède toutes les qualités de jeu pour être plus juste et les petites trouvailles consistant à représenter les personnages par une fleur ou un objet sont souvent peu claires. La mise en scène d'Ubu enchaîné manque de finesse,  même si on y retrouve ce qui fait le talent de Dan Jemmett : sa manière de rythmer le spectacle par des virgules rock entêtantes et cette capacité à transformer une situation brute en poésie comme lorsque le caporal Pissedoux, ivre, titube et se fait peu à peu danseur ; les mouvements de son corps retrouvent leur agilité avec une grâce inattendue.
Nadja Pobel


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